Plusieurs véhicules ont été projetés par la violence du choc.
(Photos : Amir Abdel-Zaher)
Il était aux environs de 10h lundi lorsque le convoi du procureur général, Hicham Barakat, passant à l’intersection de la rue Moustapha Mokhtar et Ammar Ibn Yasser, a été touché par une bombe. «
L’explosion a été d’une telle violence que les vitres des immeubles ont été brisées jusqu’au dixième étage. C’était comme un séisme », raconte l’un des témoins. Et d’ajouter : «
J’ai entendu une violente explosion et je me suis précipitée vers le site. J’ai vu que la voiture du procureur était en feu ».
Sur la scène du crime : des colonnes de fumée, des voitures calcinées et des taches de sang. Transporté à l’hôpital, le procureur décédera quelques heures plus tard des suites de ses blessures. Outre le procureur, 8 personnes ont été blessées, dont 2 civils et 5 policiers chargés de la sécurité du procureur.
L’attentat, le plus violent mené contre un haut responsable depuis la tentative d’assassinat du ministre de l’Intérieur en 2013, a soulevé une vague de condamnation et d’indignation. « L’Egypte a perdu l’une des grandes figures de la justice, une figure qui a toujours fait preuve de dévouement dans son travail et qui a toujours été attachée aux nobles valeurs de la justice », déclarait un communiqué de la présidence de la République, décrivant l’attaque comme un acte « terroriste lâche ». La classe politique est également unanime à condamner « un crime odieux ». Le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a appelé la communauté internationale à s’élever « face à la menace terroriste qui menace le monde entier ». L’attaque terroriste contre le procureur a également fait l’objet de vives condamnations à l’étranger. Dans un communiqué, l’ambassade américaine au Caire dénonce un « acte terroriste hideux et rancunier ». « Nous condamnons dans les termes les plus forts cette attaque terroriste qui a mis fin à la vie du procureur Hicham Barakat », affirme un communiqué de l’ambassade sur son site officiel. Et d’ajouter : « Nous présentons nos plus sincères condoléances à la famille du procureur. Les Etats-Unis se tiennent aux côtés de l’Egypte dans sa lutte contre le terrorisme ».
Célébrations du 30 juin annulées
Un véhicule d'escorte totalement calciné.
(Photos : Amir Abdel-Zaher)
Les funérailles du procureur ont eu lieu mardi à la mosquée du maréchal Hussein Tantawi dans la région d’Al-Tagammoe Al-Khamès, en présence du président de la République et d’une foule de responsables. En guise de deuil, les célébrations qui devaient avoir lieu à l’occasion du deuxième anniversaire de la révolution du 30 juin qui a destitué l’ancien président islamiste, Mohamad Morsi, ont été annulées. Des sources judiciaires rapportées par le site d’informations d’Al-Ahram affirment que Zakariya Abdel-Aziz Osman a été désigné pour exercer la fonction de procureur général à la place de Hicham Barakat, et ce en attendant la nomination d’un nouveau procureur. Cet ancien juge de la cour d’appel avait été nommé assistant du procureur en avril dernier.
Hicham Barakat avait été nommé au poste de procureur le 10 juillet 2013 après la révolution du 30 juin. Né en novembre 1950, il était diplômé de la faculté de droit en 1973, il sert comme juge et prend la tête de la cour d’Appel. Il est alors en charge de plusieurs dossiers importants, dont celui de la fuite des prisonniers de la prison de Wadi Al-Natroun durant la révolution du 25 janvier, dont faisait partie l’ancien président islamiste Mohamad Morsi. Il était également président du bureau technique à la cour d’Appel d’Ismaïliya qui a examiné le procès du stade de Port-Saïd. Barakat était au-devant de la guerre menée par les autorités contre le terrorisme. Il avait notamment déféré devant les tribunaux plusieurs militants islamistes accusés d’implication dans des attaques terroristes.
Innombrables questions
L’opération de lundi pose bien évidement d’innombrables questions. Qui est l’auteur de cet attentat ? Et, surtout, quelles seront ses conséquences ? L’attaque coïncide avec le deuxième anniversaire de la révolution du 30 juin, une date hautement symbolique. « Cette opération marque une grande escalade dans la confrontation entre l’Etat et les islamistes », précise Ahmad Ban, spécialiste des mouvements islamistes. « La méthode avec laquelle cet attentat a été mené et la quantité d’explosifs utilisée montrent que nous somme face à une organisation parfaitement armée. Il ne s’agit pas d’un petit groupe comme ceux qui font exploser les pylônes électriques », ajoute Ban. Il s’agit, selon lui, d’islamistes radicaux opposés à l’idée de réconciliation avec l’Etat. « Les auteurs de cet attentat ont voulu couper court aux efforts déployés par certains pays arabes en vue d’une réconciliation entre le pouvoir et les Frères musulmans », analyse Ban. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi avait libéré la semaine dernière 165 détenus, pour la plupart des islamistes arrêtés lors des manifestations contre le pouvoir, ce qui avait été perçu comme un geste d’apaisement. « Mais cet attentat montre que l’on se dirige plutôt vers une escalade et on peut s’attendre dans les jours qui viennent à des arrestations d’ampleur dans les rangs des islamistes », affirme Ban. Il ajoute que cette attaque meurtrière met en avant les failles du système de sécurité. « Il y a une faille au niveau des renseignements, une faille logistique et une faille au niveau de l’armement », dit-il, en affirmant que les terroristes ont réussi facilement à pister le parcours du procureur et ont mis à exécution leur plan sans grandes difficultés. Le procureur circulait à bord d’un véhicule blindé, conçu de manière à le protéger des balles mais pas des explosions, d’après les enquêteurs. Autre signe important de ce relâchement sécuritaire : c’est la première fois qu’une attaque de cette ampleur a lieu au Caire depuis l’attaque contre l’ancien ministre de l’Intérieur Mohamad Ibrahim, en septembre 2013, et celle contre le siège de la police en janvier 2014. En effet, les deux dernières années avaient témoigné d’un recul des grandes opérations terroristes dans la capitale au profit de petites opérations menées au moyen de bombes artisanales. « Des mesures plus strictes doivent absolument être prises pour assurer la sécurité, surtout à l’approche de l’inauguration du nouveau Canal de Suez le 6 août prochain », pense Talaat Moustapha, un ancien général de police. Selon lui, l’Egypte « ne doit plus ouvrir le terminal de Rafah et il faut un meilleur contrôle des usines qui fabriquent les explosifs ».
Avec les récentes condamnations à l’encontre des dirigeants des Frères musulmans, notamment l’ancien président Mohamad Morsi, les magistrats sont particulièrement visés.
Le 21 mai dernier, l’organisation Ansar Beit Al-Maqdess, qui opère dans le Sinaï, avait appelé ses partisans à s’attaquer aux juges en riposte à la pendaison de 6 hommes reconnus coupables d’avoir mené des attaques au nom de l’organisation de l’Etat Islamique (EI). Quelques jours plus tôt, deux juges et un procureur avaient été tués par balles dans le Sinaï, théâtre régulier d’attentats djihadistes visant habituellement les forces de sécurité.
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