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Les Ultras désormais bannis

Ghada Ismail , Ghada Ismail , Ghada Ismail , Mardi, 19 mai 2015

La Cour d'appel des affaires urgentes a interdit, samedi, les activités des Ultras, supporters de football connus pour leur capacité de mobilisation.

Les Ultras désormais bannis
Les Ultras, symbole d'une jeunesse frustrée. (Photo:AP)

« Nous resterons dans la rue. Nous continuerons à manifester pacifiquement ». C’est par ces mots qu’Ahmad, jeune de 22 ans, réagissait au verdict, samedi, de la Cour d’appel des affaires urgentes interdisant les activités des associations de supporters de football, Ultras. La cour n’a pas précisé les raisons de ce verdict. Celui-ci intervient suite à une plainte déposée, en février dernier, par le président du club Zamalek, Mortada Mansour, réclamant l’interdiction des activités des Ultras White Knights, qui seraient, selon lui, à l’origine des événements survenus le 8 février dernier devant le stade de l’Académie militaire lors du match Zamalek-Enppi, et durant lequel une vingtaine de supporters sont morts asphyxiés suite à l’intervention des forces de l’ordre.

Mansour avait alors laissé entendre que les White Khnigts « ont été payés pour provoquer une confrontation avec les forces de l’ordre » alléguant des liens entre les Ultras et la confrérie des Frères musulmans, déclarée organisation terroriste par l’Etat. 16 personnes, dont 12 supporters du groupe White Knights Zamalek, sont actuellement jugées pour ces violences.

La plainte de Mortada Mansour avait été rejetée en première instance, mais la Cour d’appel lui a donné raison, déclarant illégale toute activité des Ultras. « Ce verdict est politique », affirme Tareq Al-Awadi, avocat des Ultras, à Al-Ahram Hebdo. Et d’ajouter : « Ce verdict ne peut pas être appliqué sur le terrain car les Ultras n’ont pas de statut officiel en tant que groupe, ils n’ont ni de locaux ni de papiers. Le verdict ne fera qu’accentuer le mécontentement des jeunes ». Al-Awadi se dit étonné. « Ce jugement montre qu’il y a des tendances contradictoires au sein de l’Etat. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi avait demandé au ministre de la Jeunesse de laisser de jeunes Ultras participer à l’inauguration du nouveau Canal de Suez prévue début août prochain. Comment donc un tel verdict peut-il être émis ? », s’interroge Al-Awadi.

15 ans d’histoire
L’histoire des Ultras remonte à l’ère Moubarak. Dans les zones urbaines, des milliers de jeunes, souvent marginalisés, ne disposent d’aucune perspective politique. Seul moyen de canaliser leur frustration : le sport. C’est donc autour du football que les Ultras voient le jour au début des années 2000. On les reconnaît à leurs écharpes aux couleurs de leurs clubs favoris et surtout à leur manière engagée d’encourager leurs équipes. Ils s’organisent et forment de petits groupes par club ou par région Ultras Ahlawi, White Khnigts Zamalek, Green Eagles, etc. Le mouvement se développe sur Internet d’abord et se répand rapidement. Alors que les rassemblements sont interdits en vertu de la loi d’urgence, les Ultras sont capables de rassembler des milliers de personnes en l’espace de quelques minutes. Un fait qui inquiète fortement les autorités. Les accrochages se multiplient avec les forces de l’ordre dans les stades d’abord, mais aussi dans les rues. Les Ultras, arrêtés et traduits en justice, garderont de cette période un souvenir amer, celui de la répression policière.

La révolution du 25 janvier va marquer un tournant dans l’histoire des Ultras. Ils se politisent comme beaucoup d’Egyptiens même s’ils disent ne faire partie d’aucun mouvement politique et vouloir défendre seulement des valeurs comme la justice et la dignité. Mais il se trouve que ces valeurs sont aussi celles de la révolution. Les Ultras sont alors aux premiers rangs des manifestations face à leur ennemi de toujours : les forces de sécurité, avec qui ils ont des comptes à régler. Certains d’entre eux meurent dans les affrontements.

Exploités par les Frères
Mais aujourd’hui encore, les Ultras sont aux prises avec le régime du président Abdel-Fattah Al-Sissi. Certains d’entre eux ont pris part aux manifestations dans les campus universitaires, et aussi aux marches de protestations organisées occasionnellement dans les faubourgs ou dans la grande banlieue du Caire. Ils affirment rester pacifiques. « Il n’est pas question pour nous de basculer dans la violence. Car si nous basculons dans la violence, nous finirons par perdre la sympathie des gens », dit l’un d’eux sous couvert d’anonymat.

Les autorités ont arrêté récemment une cinquantaine d’Ultras qui participaient à une manifestation dans la ville de Fayoum. Une vingtaine d’entre eux ont été déférés au Parquet, accusés de faire partie d’une organisation terroriste et d’avoir enfreint la loi sur les manifestations.

« Le problème des Ultras est qu’ils ont été exploités politiquement par les Frères musulmans et d’autres factions islamistes comme le groupe de Hazem Salah Abou-Ismaïl, de même qu’ils ont été exploités par d’autres courants politiques », explique le politologue Yousri Al-Azabawi. Il affirme que certains Ultras ont joué un rôle dans le sit-in de Rabea. « Cette situation exaspère évidemment l’Etat, d’où ce verdict interdisant leurs activités », affirme Al-Azabawi. Il souligne une coïncidence significative : le verdict contre les Ultras est intervenu presque au même moment que celui contre l’ancien président islamiste Mohamad Morsi, condamné à mort pour espionnage. « Je crois que ce verdict va alimenter les sentiments de mécontentement vis-à-vis de l’Etat parmi les jeunes », souligne Al-Azabawi. Les Ultras sont-ils un groupe terroriste ? Comme le souligne Mahmoud Sabri, chef des pages Sport au quotidien Al-Ahram, ils sont surtout le symbole d’une jeunesse frustrée par les problèmes économiques, par des années de répression et par l’absence de tout dialogue démocratique.

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