La place ramsès, l’une des plus fréquentées du Caire, change de visage. Plus de marchands ambulants, plus d’anarchie. Sollicités par le gouvernorat du Caire, les policiers sont à pied d’oeuvre depuis plusieurs jours pour évacuer les marchands ambulants et les petits commerçants installés sur les trottoirs. La police avait lancé un appel aux vendeurs de prendre leurs marchandises et de quitter la place. Certains ont quitté, d’autres ont refusé. Pour les déloger, les autorités ont dû faire usage de grues.
Samedi, la place semble déjà faire peau neuve. Des ouvriers de nettoyage et d’entretien sont dispersés ça et là sur la place. Certains sont occupés à retirer les déchets, d’autres font des travaux de peinture, et d’autres encore s’occupent des espaces verts. Les propriétaires des magasins coopèrent avec les ouvriers. « Nous sommes heureux car finalement, l’Etat a pris la décision d’évacuer ces marchands ambulants, qui occupaient la chaussée devant nos magasins et gênaient nos clients. Ils vendaient leurs produits moins cher que nous car ils ne payent pas de taxes », raconte Ahmad Fikry, propriétaire d’un magasin de chaussures. « Je suis optimiste et je suis sûr que les marchands ambulants ne retourneront pas, à cause de la présence massive de la police sur la place », estime-t-il.
Azza, qui gère une pharmacie, partage la même joie que Fikry. « Ces marchands ambulants étaient un cancer au coeur de la place Ramsès. Mes clients étaient obligés de faire des acrobaties pour entrer dans la pharmacie à cause des marchandises qu’ils exposaient sur le trottoir. Pire encore, certaines de mes clientes étaient harcelées », dit-elle. Elle demande aux autorités de ne pas quitter la place pour empêcher leur retour.
Après le départ des vendeurs, des tas d'ordures sont entassés dans les rues.
(Photos : Nader Ossama)
« Les marchands ambulants seront transférés vers la station Ahmad Helmi, située tout près de la place Ramsès, derrière la gare. Là, il y aura un marché aménagé pour eux. L’Etat est déterminé à éliminer le phénomène des marchands ambulants », indique Galal Al-Saïd, gouverneur du Caire. Selon lui, la station Ahmad Helmi voit chaque jour passer 5 000 microbus et une trentaine de lignes d’autobus. Et donc, les vendeurs ambulants y trouveront une importante clientèle. « Le nouveau marché d’Ahmad Helmi peut accueillir environ 600 marchands », souligne Al-Saïd. Il s’étend sur environ 3 000 mètres carrés. « Le marché sera aménagé de manière à ce que les clients puissent se déplacer facilement pour trouver ce dont ils ont besoin. Il y aura un toit en été, pour protéger les marchands et les clients de la chaleur du soleil », explique le gouverneur.
« Ici, personne ne viendra nous chercher »
La station Ahmad Helmi est située à 300 mètres de la place Ramsès, à l’entrée du quartier de Choubra. Sous un énorme abri métallique, des stands gisent sur le sol. Elles sont numérotées en vue d’être louées par le gouvernorat aux vendeurs. La moitié d’entre eux sont déjà opérationnels. Les visages des marchands en disent long sur leur état d’esprit. Ils répètent tous la même question : « Pourquoi on nous déplace ? Notre gagne-pain a toujours été à la place Ramsès ». « Nous sommes ici depuis une semaine, après l’évacuation, et nous n’avons rien vendu depuis que nous sommes ici », affirme Ali, qui vend des équipements ménagers. Oum Ibrahim, une femme de 35 ans, vendeuse de casquettes et de bonnets, craint ne pas pouvoir payer le loyer de son stand qui est de l’ordre de 450 L.E. « Je ne peux pas payer ce loyer, cette place ne mérite même pas 400 piastres. Ici, je vais gagner moins qu’à la place Ramsès. J’ai des responsabilités et une famille. Pourquoi nous a-t-on fait cela ? », affirme Oum Ibrahim, en cachant ses larmes.
Les marchands ambulants affirment que, comparé à la place Ramsès, le lieu est peu fréquenté par les clients. « Nous vendons des produits bon marché pour les pauvres. C’est pourquoi on s’installe dans des endroits où ces gens sont présents en grand nombre, comme les stations de métro ou d’autobus. Mais ici, personne ne viendra nous chercher ! », lâche Khaled, qui vend des ustensiles de cuisine.
Outre les stands, se trouve de petites boutiques de 4 mètres carrés, chacune pour les commerçants qui peuvent l’accorder. Une boutique est louée à 900 L.E. par mois. Mais ce n’est pas le seul obstacle. « Ces boutiques ont été accordées à quelques chanceux par la municipalité. D’ailleurs, la plupart d’entre eux sont des baltaguis (voyous) », assure Alaa, un marchand de vêtements de 30 ans. Et d’ajouter : « Un mètre carré pour chaque marchand, c’est vraiment injuste. Cela ne nous permet pas d’exposer nos marchandises comme avant lorsque nous étions sur le trottoir », se plaint Alaa qui se sent comme « dans une prison ». « Nous sommes encerclés par les murs ! Nous demandons à ouvrir ce marché, surtout du côté de la station de train, mais personne ne répond à nos demandes », dit-il.
Les responsables affirment qu’il ne s’agit que d’une solution provisoire. Ces marchands seront ultérieurement relogés dans une zone spécialement aménagée dans la zone dite Wabour Al-Talg, à quelques mètres de la place Abdel-Moneim Riyad. Coût de l’opération : 55 millions de L.E.
« Les vendeurs reviendront »
Selon les statistiques officielles, l’Egypte compte environ 6 millions de marchands ambulants. Ces marchands font partie du secteur informel qui représente 30 % de l’économie égyptienne et qui concerne 40 % de la population active du pays. Après la révolution du 25 janvier, les vendeurs ambulants avaient envahi les rues Galaa, 26 Juillet et Talaat Harb, ainsi que la place Ramsès au centre du Caire, entravant la circulation. Ils ont un syndicat non reconnu par l’Etat. « La décision d’évacuer les marchands de la place Ramsès n’a pas été bien calculée. Elle a porté préjudice à un grand nombre de vendeurs. Certains n’ont plus de gagne-pain. Leur nombre sur la place Ramsès était estimé à 1 000 environ. Or, seuls 600 iront à Ahmad Helmi », explique Abdel-Rahman Mohamad, secrétaire général de ce syndicat, fondé en septembre 2012. Il ajoute : « Dans de telles conditions, les marchands reviendront à leurs places, en dépit de la confiscation de leurs marchandises, car ils veulent des lieux appropriés pour gagner leur pain ».
La décision d’évacuer les marchands fait partie d’un plan lancé par le gouvernorat du Caire visant à régler le problème de la circulation dont souffre la capitale. Il y a quelques mois, le gouvernorat du Caire avait relogé les marchands ambulants de la rue Talaat Harb au parking d’Al-Torgomane, non loin du centre-ville. La place Ramsès vient d’être évacuée et la place Ataba devrait suivre.
Or, parmi les marchands évacués, beaucoup ne s’en tiennent pas à leur nouvel endroit désigné par le gouvernorat. Souvent, ils déménagent vers une autre place, d’autres avenues qu’ils ne tardent pas à investir. Pour Medhat Al-Chazli, professeur de planification urbaine à l’Université du Caire, l’Etat a mis beaucoup de temps pour s’attaquer à ce problème. Pendant des années, il a laissé ces marchands occuper les rues du centre-ville et la situation s’est empirée après la révolution du 25 janvier. « Beaucoup de pays ont réussi à faire face à ce phénomène en créant des centres commerciaux pour les vendeurs », dit Al-Chazli. D’après lui, les nouveaux marchés doivent être adaptés aux besoins des marchands, ce qui n’est souvent pas le cas en Egypte.
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