3 millions d’étudiants dans les universités publiques n’ont pas d’unions pour défendre leurs droits.
Les membres de l’union des étudiants de l’université de Aïn-Chams ont présenté collectivement leur démission. Motif invoqué : la non-tenue des élections estudiantines et l’élaboration d’une nouvelle charte par la direction de l’université «
sans consulter les étudiants ». «
La direction de l’Université a menacé de dissoudre l’union élue et de nommer à sa place un comité pour expédier les affaires courantes. De plus, la direction a appelé, à l’insu de l’union, à une réunion pour élaborer une nouvelle charte étudiante sans consulter les étudiants », affirme un communiqué de l’union des étudiants. Pour les étudiants, cette décision est illégale et vise à «
anéantir l’union élue ». Les membres de l’union dénoncent l’ingérence de la direction de l’Université dans le travail de l’union, ce qui est selon eux, une violation et une ingérence manifeste dans le mécanisme de la prise de décision et de l’activité estudiantine. «
Nous avons demandé plusieurs fois, avec d’autres unions universitaires, comme celle de l’Université du Caire, à fixer la date des élections pour élire une nouvelle union, mais en vain. Nous n’avons eu aucune réponse de la part du ministère de l’Enseignement supérieur », affirme Marwa Noufal, porte-parole de l’union des étudiants de l’Université de Aïn-Chams et secrétaire de la commission culturelle. Et d’ajouter : «
Voilà deux ans que l’union des étudiants a achevé son mandat et le ministère n’a toujours pas fixé de date pour les élections.
Cela fait deux ans que le ministère reste les bras croisés à regarder les unions se vider de leurs cadres. 8 membres de notre union ont obtenu leurs diplômes et ont quitté l’université, et nous faisons leur travail », lance Marwa, ajoutant qu’elle a essayé avec ses collègues de rencontrer le vice-président de l’université, Dr Mahmoud Al-Toukhi, mais il a refusé de les rencontrer. D’où la démission collective. Mahmoud Abdel-Aziz, membre de l’union, renchérit : « Malgré tout cela, les unions estudiantines de Aïn-Chams ont affronté les défis et ont essayé de jouer leur rôle en tant qu’entité légitimement élue pour défendre les droits des étudiants ». Si l’union a démissionné, c’est qu’elle ne pouvait plus, selon lui, travailler dans « ce climat qui rappelle le régime de Moubarak ». « Le comité qu’ils veulent former comprend plusieurs figures corrompues de l’époque de Moubarak qui sont revenues sur scène », affirme Marwa, étudiante en sixième année de la faculté de la médecine.
Les élections estudiantines n’ont pas été tenues depuis mars 2013. Les unions universitaires ne sont donc pas complètes. 3 millions d’étudiants dans les universités publiques n’ont pas d’unions pour défendre leurs droits. La démission des unions estudiantines a été annoncée sur Internet. « Notre but est de transmettre un message à nos collègues pour qu’ils poursuivent le chemin et réclament des élections », explique Hassan Mohamad Hassan, membre de l’union.
Le bras de fer entre les étudiants et la direction a donné lieu à une tension persistante. Mohamad Al-Toukhi, vice-recteur de l’Université de Aïn-Chams pour les affaires des étudiants, rejette les accusations des unions estudiantines. « L’union démissionnaire était illégale, surtout que le nombre d’étudiants au sein de cette union était de 8 membres au lieu de 16 après que la moitié d’entre eux avait quitté l’université une fois leur diplôme obtenu. La direction de l’université a décidé de garder cette union pour maintenir les activités estudiantines ». Toukhi nie le fait que la direction ait refusé de rencontrer les membres de l’union : « Je les ai rencontrés personnellement plusieurs fois. La dernière réunion était deux jours avant la démission ». Et d’ajouter : « Cette démission n’est pas réglementaire, car elle a été annoncée sur Internet seulement. Les étudiants auraient dû envoyer une lettre officielle de démission à la direction de l’Université, ce qui n’a pas été fait ».
Concernant l’ingérence dans les activités de l’union, Toukhi explique que « l’université a essayé de compenser le fait qu’il y a moins de représentants au sein de l’union en organisant des activités supplémentaires. Concernant les élections, elles n’ont pas été annulées comme prétendent les étudiants. Elles se tiendront au début du premier semestre de la prochaine année universitaire, c’est-à-dire en novembre prochain. Quant à la charte étudiante, nous voulons ouvrir un dialogue à son sujet et écouter les commentaires des étudiants ».
Charte refusée
Jusqu’en 2012, la vie étudiante était régie par la charte de 1979. Puis en 2012, les Frères musulmans ont élaboré une nouvelle charte. Mais après la chute des Frères, le ministère de l’Enseignement supérieur a annulé cette charte et a proposé une nouvelle charte que les étudiants ont refusée. Le ministère veut cependant maintenir cette charte qualifiée de « provisoire », malgré les protestations des étudiants. Selon eux, cette charte est très restrictive et doit être modifiée. Ils affirment ne pas avoir été consultés à son sujet. « En vertu de cette charte, l’union n’a pas la liberté d’utiliser son budget, et le trésorier de l’union sera nommé par l’université et non par les étudiants. Les étudiants veulent une nouvelle charte élaborée en concertation avec le ministère de l’Enseignement supérieur », assure Mohamad Hassan. Après la chute des Frères musulmans, les étudiants islamistes avaient organisé des manifestations massives dans les universités. Des affrontements sanglants avaient eu lieu entre étudiants et forces de l’ordre, entraînant des morts et des blessés dans les deux camps.
C’est dans ce contexte que les élections ont été annulées. La scène universitaire a été divisée entre ceux réclamant la tenue des élections et ceux qui estiment le contexte inopportun. Lors des élections de 2013, les étudiants indépendants avaient gagné les élections et les Frères musulmans avaient remporté moins de la moitié des sièges des unions estudiantines dans les universités. « L’Etat a retardé les élections en raison du climat de tension qui sévissait sur le campus universitaire. Les universités constituent une question délicate parce que les jeunes ont été le carburant des révolutions du 25 janvier 2011 et du 30 juin 2013 », analyse Hassan Nafea, professeur de sciences politiques. Nafea évalue le statut du mouvement estudiantin en expliquant : « L’avenir du mouvement estudiantin dépendra de l’avenir de la vie politique en Egypte. Celui-ci sera déterminé après les prochaines élections parlementaires. Aujourd’hui, le mouvement étudiant est pris dans l’étau, entre les Frères musulmans et les symboles de l’ancien régime, qui sont en train de revenir sur la scène. Le conflit continue et son sort sera déterminé après les prochaines législatives », conclut-il.
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