Ahmed Abd El Fattah essaie les lunettes et les contrôleurs conçus pour son oeuvre dans le Metaverse.
Et si vous vous trouviez aux côtés de La Serveuse de bocks de Manet (1879) ? Ou bien aptes à regarder Les Demoiselles d’Avignon de Picasso (1907) de tous les angles ? Eh oui ! Les peintures ne seraient pas confinées aux toiles : les amateurs des arts plastiques seraient invités à vivre l’art en profondeur. Et ce, à travers des lunettes de la réalité virtuelle (VR) qui permettent d’entraîner le spectateur à l’intérieur des tableaux. Ce concept d’immersion a toujours été au centre des intérêts d’Ahmed Abd El Fattah. La réalité virtuelle lui a permis de réaliser son ambition de transporter le public au sein de ses peintures. De 2016 à 2018, il avait traité la question dans son master et depuis 2020, il travaille sur sa thèse de doctorat, la première du genre en Egypte, intitulée La Réalité virtuelle comme référence visuelle des oeuvres impressionnistes et leur traitement à travers la technologie moderne. Une piste fascinante à explorer.
« La réalité virtuelle permet de transformer la façon dont nous observons l’art, mais aussi la manière dont nous créons. De nombreux outils et applications d’art VR permettent de remplacer efficacement le pinceau traditionnel. De la même façon que la photographie a permis d’émuler le théâtre et la peinture, avant de devenir une forme d’art à part entière, la VR s’inscrit dans la continuité de l’histoire de l’art », explique-t-il. Et d’ajouter : « A l’âge de pierre, nos ancêtres dessinaient sur les murs des monstres et des scènes imaginées. C’était un reflet d’une pensée virtuelle. Avec la Renaissance, l’art devient une révolution, et des artistes de légende comme Leonard De Vinci et Raphaël entrent dans l’histoire grâce à leur nouveau mode d’expression. ». La réalité virtuelle questionne la frontière entre le réel et le virtuel et permet aussi de faire tomber la barrière entre le spectateur et l’oeuvre d’art. Mais cette technologie n’est-elle pas un moyen pour s’évader de la réalité ? « Et pourquoi ne pas dire qu’elle permet de ressentir des sensations purement inédites ? L’oeuvre d’art n’est plus seulement un objet accroché au mur d’une galerie ou d’un musée, mais un univers à explorer et dans lequel se fondre. Il ne faut pas oublier que le monde vit un grand changement à tous les niveaux, notamment économique : fonder de grands musées n’est plus une chose facile. Sinon, les musées recèlent des collections d’oeuvres d’arts difficiles à être toutes exposées à la fois. Exposer ces collections virtuellement s’avère la solution idéale », souligne-t-il.
Le premier arbre du Metaverse
La réalité virtuelle semble être le principal vecteur de ce changement. Les casques HMD comme l’Oculus Rift ou le HTC Vive ne sont disponibles que depuis cette année, mais la VR a déjà un impact considérable sur les domaines de l’art et de la créativité. Les artistes utilisent les casques pour développer des oeuvres avec aisance et simplicité, tandis que les spectateurs expérimentent à leur tour la contemplation d’une façon nouvelle. Ainsi, Ahmed Abd El Fattah s’est lancé pratiquement dans l’affaire : en novembre dernier, il a exposé à la galerie TAM deux peintures. L’une est une oeuvre traditionnelle à l’huile et, en face d’elle, l’autre élaborée à travers Tilt Brush, une application de peinture développée par Google. Le thème en était le premier arbre du Metaverse. L’arbre étant symbole de la vie. Le public n’avait qu’à mettre les lunettes pour s’infiltrer dans l’univers, l’espace où se trouve l’arbre. La vue à 360 degrés permet à l’utilisateur de choisir son angle de vue, de ne plus être confiné dans une seule perspective. « L’expérience a été positivement reçue par le public. Agé ou jeune, il a exprimé une grande curiosité à découvrir ce nouvel environnement artistique ». Mais comme la technologie évolue à vive allure, certains chefs-d’oeuvre numériques créés aujourd’hui par les artistes pourraient devenir inaccessibles d’ici une ou deux décennies, faute de prise en charge d’un format spécifique par exemple ?
« Si l’art souhaite avancer technologiquement, il doit obligatoirement devenir rétrocompatible. C’est exactement comme dans le domaine musical. Autrefois, chansons et musiques étaient enregistrées sur des cassettes, et pour les écouter il fallait avoir un magnétophone ou un baladeur. Aujourd’hui, ces appareils ont complètement disparu, alors que les chansons et les musiques anciennes existent toujours, car on est capable de changer leurs formats pour les réécouter à travers des appareils plus modernes ».
Investir dans les nouveaux médias semble un besoin pressant, selon Abd El Fattah. Toutefois, les difficultés s’y présentent : « L’absence d’un corps enseignant maîtrisant la nouvelle technologie de manière à la démocratiser dans tous les départements des beaux-arts en Egypte exige l’octroi de bourses afin de former des cadres. Et ce, à l’instar de ce qui avait eu lieu avec la génération des pionniers au début de la fondation de la faculté des beauxarts ». L’Université de Louqsor, où Abd El Fattah est maître-assistant, est en train de construire le premier musée national virtuel. « Il s’agit d’exposer des oeuvres égyptiennes anciennes de façon moderne. Une expérience inédite qui va être lancée en février ». Un premier pas vers d’autres expériences sans doute.
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