Al-Ahram Hebdo : La numérisation bouscule le monde et se diffuse dans tous les secteurs. Cela vous oblige-t-il à repenser vos programmes et vos projets ?
Dr Amr Talaat : Toutes nos stratégies, politiques et initiatives sont axées sur un seul objectif, le développement du citoyen et son émancipation. Comment mettre la technologie de l’information à la disposition de cette génération comme un outil de changement, lui permettant d’aspirer à une meilleure carrière et de développer ses compétences professionnelles. Ainsi, l’idée de construire l’homme est notre engagement. Et donc, toute infrastructure de télécommunications doit avoir comme but d’améliorer la qualité de vie du citoyen, de lui ouvrir des possibilités sans limites de communication et de formation. La transformation numérique, Internet, les portables, les technologies de l’information, l’intelligence artificielle, toute infrastructure de télécommunications doit répondre aux questions : comment tout cela va-t-il contribuer à rendre le citoyen égyptien plus apte à concurrencer sur le marché du travail ? Comment cela va-t-il faciliter son accès aux réseaux d’informations et au cybermonde ? L’idée est de miser sur l’humain en premier lieu. Même en créant de nouveaux centres de formation et de recherche, en approuvant de nouveaux projets, ce qui nous mobilise, c’est la capacité de générer des résultats à haute valeur ajoutée pour le citoyen, le rendement sur sa vie quotidienne et ses besoins, sinon, ils ne méritent ni notre temps, ni notre financement. C’est selon ce critère que tout nouveau projet est évalué. Par exemple, si je réussis à développer un programme qui permet aux non-voyants de pouvoir lire le nom d’un médicament, je considère que c’est une réussite, vu son côté pratique et sa serviabilité. Avec « le citoyen » comme titulaire de droits, il est au coeur de la performance publique, de tous plans et stratégies.
— Comment l’infrastructure des télécommunications a-telle évolué pour répondre aux nouveaux besoins ?
— Tout d’abord, il faut faire la différence entre l’infrastructure de l’Internet fixe et celle du téléphone portable. A travers les réseaux d’accès fixe, nous favorisons la connectivité du plus grand nombre de citoyens via des réseaux performants et rapides. Au début de l’année 2019, nous avons contacté des entreprises spécialisées dans la mesure et l’évaluation de la qualité et la vitesse de l’Internet fixe dans le monde, nous avons appris que la vitesse moyenne de l’Internet en Egypte était estimée à 6,5 MB/seconde et que nous occupons la 40e place sur 43 pays africains. Une réalité choquante et qui n’était pas digne de l’Egypte. Une réforme des infrastructures s’est avérée cruciale. Nous avons lancé un plan urgent de réforme des infrastructures Internet, afin d’améliorer la qualité du réseau et sa couverture. Ce plan s’est étalé sur deux phases. La première avec un budget de 1,6 milliard de dollars et la deuxième de 300 millions de dollars. C’était une pure coïncidence, car sans cette réforme, nous aurions été privés de l’infrastructure nécessaire durant la crise sanitaire du Covid-19. A l’aube de 2020, la vitesse du service Internet en Egypte avait atteint 40 MB/seconde alors que moins de deux ans avant, elle tournait autour de 6,5. Aujourd’hui, elle est estimée à 45,5, donc elle a été multipliée par plus de sept en deux ans. Aujourd’hui, nous occupons la 3e place en Afrique, et nous suivons chaque mois l’évolution de notre classement.
Une troisième phase de réforme vise à améliorer encore plus la stabilité du service Internet, sa vitesse, sa qualité et sa couverture, nous visons à élargir le nombre des usagers et améliorer les services clients. Nous avons donc conclu un accord avec des experts internationaux, et un plan technique et financier sera mis en application en 2022. Notre but est que chaque activité se déroulant sur Internet soit stable, que ce soit une vidéoconférence, un cours à distance, ou même des jeux vidéo. De plus, nous aspirons à ce que le plus grand nombre de citoyens ait accès à l’Internet fixe, car c’est sur ce réseau que la plupart des activités ont lieu aujourd’hui. Le citoyen passe une moyenne de 5 à 6 heures quotidiennement devant l’écran.
— La pandémie vous a-telle contraint à changer d’approche et à opter pour une réinitialisation complète de vos services ?
— Durant la crise sanitaire, Internet était devenu le seul moyen de communication. Le temps moyen passé sur la toile par jour a atteint 15 heures. Nous sommes fiers de dire que durant les deux dernières années, tous les examens du baccalauréat se sont déroulés en ligne sans problème. Lors du confinement, les étudiants ont pu suivre leurs cours à distance, le concept du télétravail a été introduit dans notre quotidien, même les réunions du Conseil des ministres étaient tenues à distance. Durant cette crise, le secteur des télécommunications a joué un rôle essentiel pour nous connecter, et les télécommunications ont joué un rôle pilier et stratégique pour toute activité : éducation, santé, travail, divertissement et e-commerce.
Des services en ligne qui se sont ajoutés sur des réseaux déjà sollicités. Notre défi était d’assurer la résilience du réseau et la gestion de sa performance. Le trafic multiplié et la forte hausse des usagers ont mis à l’épreuve les réseaux des infrastructures et de connectivité. Nous avons donc lancé des initiatives pour rendre ce changement plus facile, par exemple fournir des paquets gratuits pour les élèves qui veulent consulter les plateformes du ministère de l’Education. Mais nous étions déjà équipés pour faire face au pic des demandes et aux nouveaux scénarios en termes de durée, de rythme et de disparité d’activité.
— Comment les services du téléphone portable ont-ils évolué lors de ces dernières années ?
— Le service du téléphone portable tourne autour de trois axes : la fréquence, les tours mobiles et la gouvernance. Durant cette année, nous avons fourni des fréquences à une valeur estimée à 1,2 milliard de dollars aux compagnies de portables en Egypte. Ces fréquences peuvent être comparées aux routes qui permettent aux signaux de circuler en toute souplesse. Par ailleurs, en 2021, nous avons construit 2 200 tours mobiles, contre 1 300 en 2020, et nous avons facilité les procédures de délivrance des autorisations de construction des tours. Ce qui a encouragé les entreprises de portables à construire plus de tours et à couvrir plus de zones géographiques. Nous avons également permis au citoyen qui désire changer son fournisseur de prendre cette étape sans recourir à la permission de son entreprise d’origine. Cette décision a donné la liberté au citoyen de choisir la société qui lui convient sans être à la merci de celle-ci ni être obligé d’accepter un nouveau service qui n’est pas à la hauteur de ses attentes. Nos organismes effectuent chaque mois des statistiques sur la qualité des services des entreprises portables dans chaque région, ce qui stimule aussi la compétitivité entre elles.
— Comment faites-vous pour étendre ces infrastructures de télécommunications à toute la population, notamment aux zones privées de ces services ?
(Photo : Mohamad Abdou)
— En effet, le projet Hayah Karima (vie décente), qui cible 3,5 millions de ménages et une population de 58 millions d’individus, vise à améliorer la qualité de vie de ces citoyens en leur offrant des services adéquats d’eau potable, d’électricité et d’Internet à haut débit. Un message très signifiant. Que les fibres optiques et Internet à haut débit soient considérés parmi les services vitaux de la population est un vrai pas en avant. Dans le cadre de ce projet géant, nous allons allouer un budget de 20 milliards de L.E. pour installer les fibres optiques dans chaque foyer. Nous allons également nous occuper de la construction de tours mobiles dans ces régions, ainsi que d’une réforme globale des bureaux de poste dans les zones concernées par l’initiative. Nous allons ensuite lancer des programmes de formation pour les jeunes afin de les aider à profiter de la technologie de l’information pour améliorer leurs revenus.
— La transformation numérique est une nouvelle stratégie qui commence à toucher tous les secteurs publics. Quels en sont les principaux aspects ?
— Le processus vise à intégrer toutes les technologies numériques dans tous les services fournis par les institutions publiques. Nous avons lancé la plateforme égyptienne du service numérique qui doit couvrir environ 100 services publics en ligne, en utilisant les technologies pour délivrer les informations nécessaires aux citoyens et répondre à leurs besoins. A partir de la notarisation, les permis de conduire, les cartes d’approvisionnement et le logement social, etc. Cette plateforme numérique a été conçue de façon à rendre son usage facile. En plus d’une ligne verte pour ceux qui veulent délivrer ou renouveler un papier sans être obligé de se diriger vers le ministère ou l’organisme public concerné. Nous avons commencé un partenariat avec l’Estonie, qui est le pays leader au monde en matière de transformation numérique.
Dans le cadre de cette transformation numérique, nous avons lancé en parallèle une réforme des bureaux de poste, cet organisme prestigieux qui possède une longue histoire qui date de 1865 et a réussi au fil des ans de gagner la confiance des citoyens. C’est son plus grand atout. Dans les villages, un bureau de poste fait partie de la vie du citoyen. Nous avons donc commencé à revoir l’état des locaux, la technologie dont ils peuvent disposer, les nouveaux services qu’ils peuvent offrir, ainsi que de mettre en place de nouvelles applications portables dédiées au service de la poste comme l’application Yalla pour les services du transfert monétaire. Cette réforme de la poste a pour budget 4 milliards de L.E. et couvre 3 200 bureaux.
(Photo : Mohamad Abdou)
— Quels sont les projets innovants destinés aux jeunes pour se lancer dans ce paysage numérique ?
— Nous avons lancé un ensemble d’initiatives, ainsi que des programmes de formation couvrant les élèves et étudiants dès l’âge de 15 ans. Nous travaillons également avec les jeunes spécialistes en télécommunications, afin de développer leurs compétences, leur permettant d’accéder à des postes importants dans le marché mondial du travail, et de leur offrir des entraînements dans les sociétés internationales qui ouvrent ses portes en Egypte, tels que le certificat de commercialisation en ligne en partenariat avec Amazon, ou encore pour les jeunes freelancers qui travaillent pour des entreprises internationales. Nous avons également inauguré l’Université égyptienne de l’informatique qui aura pour objectif d’offrir un enseignement de qualité avec des formations technologiques en partenariat avec deux universités américaines parmi les plus renommées au monde. Nous avons créé des centres dans les provinces, accueillant les jeunes ayant des idées innovatrices en la matière, afin de les aider à les financer et les exécuter. Nous mettons ensuite ces start-up avec des sociétés de marketing pour les commercialiser. Notre but est de leur offrir une source illimitée de possibilités en matière de communication et d’apprentissage.
— Quelle est votre ambition pour le secteur des télécommunications en 2022 ?
— En moins de trois ans, nous sommes parvenus à multiplier par 22 le budget consacré à l’entraînement des jeunes dans le domaine, passant de 50 millions à 1,1 milliard de L.E. Le nombre de jeunes bénéficiaires de ces programmes de formation est passé de 4 000 à 200 000.
En 2020, les start-up et les entreprises spécialisées dans la communication et les technologies de l’information en Egypte ont pu attirer des investissements de 190 millions de dollars. En 2021, ce chiffre a dépassé les 400 millions de dollars, malgré la pandémie et le recul de l’économie mondiale. Il y a trois ans, le secteur des télécommunications contribuait à 3,2 % du PIB, il est passé à 5 % cette année, et notre ambition est d’atteindre 8 % dans 3 ans, à l’exemple des pays leaders dans le secteur de la technologie de l’information tels que l’Inde, les Philippines et l’Estonie. Et pourquoi ne pas les devancer ? En 2022, nous aspirons à augmenter le nombre des usagers des services Internet, à fournir des réseaux de qualité à un rythme accéléré, à déployer la fibre optique et Internet à haut débit dans chaque zone, à inaugurer la Cité du savoir, à faciliter le transfert du gouvernement vers la Nouvelle Capitale. Et notre plus grand défi c’est le temps.
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