Dr Mohamed Abdel-Karim*
Bien que 105 années se soient écoulées depuis la naissance du président égyptien Gamal Abdel-Nasser et plus d’un demi-siècle depuis la Révolution de 1952, l’image de Nasser « l’Africain » reste gravée dans l’esprit des élites et des peuples africains, alors que l’expérience de Nasser reste une source d’inspiration et d’optimisme. C’est au Caire que les idées de l’unité africaine trouvent leurs racines avant de fusionner dans le cadre d’interactions politiques régionales, comme le Mouvement de non-alignement. De plus, à l’époque, l’expérience du développement en Egypte constitue un modèle africain unique de lutte contre les puissances coloniales traditionnelles qui continuaient à imposer des relations de dépendance économique avec leurs anciennes colonies, en évitant autant que possible que ces Etats répètent l’expérience égyptienne.
Les idées de l’unité africaine ont été proposées de façon plus concrète pendant la première moitié du siècle passé par un groupe de « pères fondateurs », dont les plus célèbres sont Wilmot Blyden, Marcus Garvey et William Du Bois. Puis, ces idées ont été développées par un certain nombre de jeunes Africains à la 5e Conférence de l’Union africaine à Manchester en octobre 1945, sous forme de recommandations et de projets ambitieux qui réalisent l’unité entre les peuples du continent africain. Cette conférence, qui a été co-organisée par un certain nombre de jeunes Africains (et plus tard des dirigeants politiques de leurs pays), tels que le Ghanéen Kwame Nkrumah, le Nigérian Nnamdi Azikiwe, le Kényan Jomo Kenyata, ainsi que des représentants de la classe ouvrière et de la population en Afrique, a constitué une étape marquante de la résistance contre l’impérialisme.
Les principes de « la philosophie de la révolution » de juillet 1956 proposés par Nasser, qui a placé le cercle africain au coeur des cercles de la politique étrangère de l’Egypte, ont inspiré les peuples africains face à l’occupation britannique en Afrique de l’Est sur les terres de la Somalie et de Zanzibar, ainsi que le mouvement de libération de l’Erythrée. C’est-à-dire avant l’attaque tripartite contre l’Egypte en décembre 1956. Ce qui prouve qu’une relation étroite se développait entre les visions de « la philosophie de la révolution » de Nasser et les projets de libération africaine, évoluant ensuite le concept de l’unité africaine entre les Etats du continent.
La vision africaine de la Révolution de Juillet
La Guinée, comme la plupart des Etats africains indépendants ou occupés à cette époque, considérait l’Egypte après la guerre de Suez en 1956 comme un principal partenaire africain face à l’occupation et dans le soutien des mouvements de libération en Afrique comme premier pas sur la voie de la réalisation de l’unité africaine. En revanche, les puissances occidentales ont suivi l’évolution des relations entre Le Caire et Accra, avec la prédominance de la perception de ces puissances que toute alliance éventuelle entre Nkrumah et Nasser représenterait une menace pour la stabilité politique de l’Afrique postcoloniale, et qu’un processus de libération de l’Afrique mené par ces deux Etats et alliés africains « radicaux » pourrait ouvrir la porte aux Soviétiques.

Nasser avec les fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA).
Il est possible de remarquer la stabilité et la variabilité de la vision africaine envers la Révolution de Juillet et ses politiques de façon claire dans le cas de George Padmore, le célèbre penseur prônant l’unité et l’un des conseillers politiques de Nkrumah qui a mis l’accent sur le rôle commun de Nasser et de Nkrumah ensemble de transférer le concept de panafricanisme de l’idée de la particularité de l’expérience africaine et de la distinction du rôle de la diaspora africaine au détriment de la population du continent, pour s’identifier au Mouvement des non-alignés et cristalliser un rôle clair pour le continent africain et ses habitants en premier lieu, dans ce que l’on appellerait plus tard le « Global South ». Ce concept a été concrétisé dans la rencontre entre le président américain Eisenhower et Nkrumah en 1958, et au cours de laquelle ce dernier a exprimé sa profonde inquiétude envers la situation de la paix au Proche-Orient, ainsi que la similitude entre ses positions et celles de la Révolution de Juillet en ce qui concerne la volonté de ne pas entrer dans des alliances militaires et le refus d’expérimenter les armes nucléaires sur les territoires africains.
Soutien aux mouvements de libération
Il est possible de remarquer la concrétisation de la vision africaine de la Révolution de Juillet dans l’estimation des jeunes directions africaines de l’organisation par Nasser de la Conférence de la solidarité afro-asiatique accueillie par l’Université du Caire en décembre 1957, et la promulgation de « la Déclaration du Caire » connue par « l’esprit Bandung » parmi les peuples des pays africains qui n’avaient pas encore obtenu leur indépendance. Ces jeunes dirigeants africains ont accordé une grande estime au rôle de Nasser et de son régime dans le soutien des mouvements de libération accueillis par l’Egypte, en particulier l’Algérie, l’Ouganda, l’Afrique du Sud et le Cameroun. De plus, les questions de la libération et de l’unité africaines ont évolué à un niveau international soutenant plus les droits des peuples africains. Par exemple, Joshua Nkomo, président de l’union populaire africo-zimbabwe et plus tard président du Zimbabwe, a décrit son voyage au Caire en 1958 de « la Capitale de libération africaine ». La vision de l’Egypte concernant l’unité africaine s’est caractérisée par un réalisme remarquable. L’Egypte a fourni un soutien politique et logistique considérable aux idées et aux activités de ces dirigeants après la Révolution de Juillet, en particulier le soutien précoce et important à la révolution Mau Nikomo au Kenya.

Les premières idées du président Nasser concernant l’Afrique se sont développées comme elles sont enregistrées dans son ouvrage « La philosophie de la révolution » en concordance avec les politiques africaines de l’Egypte pendant les années 1960, et ce, à travers la Conférence des forces populaires tenue au Caire au printemps 1962 qui a promulgué la Charte nationale pour fixer les objectifs de la politique extérieure de l’Egypte parmi d’autres questions, comme la lutte contre l’impérialisme et le soutien des mouvements de libération, de non-alignement et d’alignement positif, l’opposition à l’ingérence israélienne en Afrique et la discrimination raciale, le soutien du mouvement de l’unité africaine et la solidarité afro-asiatique, ce qui prouve que l’unité est restée parmi les priorités du Caire après l’année de l’indépendance de l’Afrique en 1960. De plus, la charte s’est intéressée à une question autour de laquelle la majorité des leaders africains se sont réunis et ont déployé de grands efforts aux niveaux régional et international : la lutte contre la discrimination raciale, une priorité après l’indépendance.
En bref, à chaque anniversaire de Nasser, les discussions, les espoirs et les griefs se renouvellent quant à la capacité du continent à faire face aux défis et à réaliser son objectif d’unité africaine pour la prospérité de ses peuples.
*Spécialiste de l’Afrique
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