Le 6 juillet 1881, une date hautement importante dans l’histoire de l’Egypte. C’est le jour de l’annonce de la découverte de la célèbre cachette de Deir Al-Bahari à Thèbes, dans la rive ouest de Louqsor en Haute-Egypte. Cette cachette abritait plus d’une quarantaine de momies appartenant à de grands rois et reines avec leurs sarcophages et leurs trésors. L’histoire de cette découverte remonte à l’été de 1871 au village Gournah, qui était l’unique entrée de la Vallée des rois et qui était connu par la présence de commerce détourné des objets de l’Egypte Ancienne, fréquent à cette époque. A partir de 1871 ont apparu sur le marché de vente au Caire et à Suez des trésors, des pièces dorées, des papyri, des statuettes, des vases en marbre et des bijoux ornés de cartouches, un indice exclusif aux rois de l’Egypte Ancienne. Il y a eu une vente intensive d’objets inédits, qui ont traversé la Méditerranée et ont atteint le continent européen. Ces objets provenaient sans le moindre doute des tombes royales alors pas encore répertoriées, dont la localisation est restée inconnue et enveloppée d’une ambiguïté absolue.
Selon le service des antiquités de l’époque, c’était une énigme qui n’a été résolue que dix ans plus tard. La famille Abdel-Rassoul en était la clé. En effet, en 1871, quatre frères de la famille Abdel-Rassoul partent à la recherche d’une chèvre égarée de leur troupeau, ils aperçoivent un orifice dans le rocher et se rendent compte de la présence d’une tombe en raison d’un caillou lancé dans l’orifice et qui est tombé trop loin. Les quatre frères y descendent, se servant d’une corde. Bougie à la main, ils découvrent un trésor pêle-mêle : sarcophages qui renferment des momies, des ouchebtis, des amulettes dorées, des papyri, des statuettes … « Gardant le secret, les frères s’emparent de petites pièces, les dissimulent dans les magasins d’épices et attendent l’hiver et l’arrivée des voyageurs, savants, ou collectionneurs pour exposer et vendre leurs articles », raconte l’égyptologue Magdi Chaker.
Intrigues et soupçons
Le palais du musée de Guiza qui abritait les momies.
En 1878, les soupçons augmentent chez les membres du service des antiquités fondé par Auguste Mariette vers la seconde moitié du XIXe siècle, y compris chez le chef de la chaire d’égyptologie du Collège de France, Gaston Maspero, qui examine un nombre considérable des objets antiques provenant d’Egypte, notamment de la Haute-Egypte et du village Gournah. Il fait donc une enquête subtile sur l’affaire. « Une longue enquête, menée patiemment auprès des acquéreurs et des touristes européens, m’avait enseigné un fait important : les principaux vendeurs des antiquités royales étaient un certain Abdel-Rassoul Ahmad, son frère Mohamad Abdel-Rassoul de Cheikh Abdel-Gournah et Moustapha Agha Ayat, agent consulaire d’Angleterre, de Belgique et de Russie à Louqsor », retrace l’égyptologue Gaston Maspero dans son livre Les Momies de Deir Al-Bahari.
Il a fallu attendre l’été de 1881, lorsqu’un fort conflit est déclenché entre les membres de la famille Abdel-Rassoul, la divisant en deux clans : le premier veut dévoiler le secret de la cachette et divulguer sa localisation au gouverneur de Qéna, Daoud pacha, auquel dépend le village Gournah, l’autre préfère garder le silence. Une ambiance pleine d’intrigues et de soupçons, qui pousse l’aîné des frères à dévoiler le secret de la cachette à Daoud pacha. « En vérifiant le lieu découvert à Gournah, le 25 juin courant, nous l’avons, disait Daoud pacha, trouvé long et renfermant plus de 30 sarcophages et beaucoup d’autres objets comme statuettes, marbres, etc., et la plupart des sarcophages étaient couverts par les inscriptions. Les images de serpents et les ornements qu’on voit dans ce lieu prouvent qu’il est un lieu royal » retrace Maspero dans le livre.
La cachette abrite alors les momies des souverains renommés d’Egypte. Citons à titre d’exemple Séqénenrê Taâ II, Ahmose, Ahmose-Néfertari, Thoutmosis III, Séthi Ier, Ramsès II, ainsi que les cercueils portant les noms d’Amenhotep Ier, Thoutmosis II, d’Ahmos Ier, de son fils Simon de la reine Ah-hotep. La trouvaille de la cachette de Deir Al-Bahari et ses contenus considérables en nombre et en valeur est une surprise pour les autorités. Mais ce n’est pas la seule puisqu’une autre surprise attend Daoud pacha, qui se prépare à faire sortir le trésor. Mohamad Abdel-Rassoul lui présente des dépôts au seuil de l’orifice avant de descendre à la cachette renfermant « les quatre canopes de la reine Ahmose-Néfertari et trois papyri funéraires de la reine Makeri, de la reine Isimékhobiou et de la princesse Nésikhonsou », explique l’égyptologue Gaston Maspero dans son livre Les Momies royales de Deir Al-Bahari.
La sortie de l’ombre
Musée de Boulaq, publié par Maspero en 1890.
Après la découverte est venu le vrai défi, celui du dégagement de ce trésor de la cachette. Une vraie aventure qui exige la coopération de toutes les directions sans exception. Les autorités rassemblent alors 200 personnes, en présence des MM. Emile Brugsch, conservateur adjoint du Musée de Boulaq, et Ahmad effendi Kamal, secrétaire interprète du musée, qui reçoivent les cercueils, les momies et les pièces archéologiques pour les arranger avec soin au seuil de la montagne. Et ce, tout en surveillant les ouvriers qui dégagent les objets précieux de la cachette. Un travail ardent qui prend 48 heures, sans le moindre repos. Reste le transfert du trésor de la plaine thébaine jusqu’à la rive de Louqsor, où attend le bateau du service des antiquités qui va transporter les momies au Musée de Boulaq, au Caire. Ce travail prend 12 heures supplémentaires vu l’ardeur du sol, la canicule estivale de la Haute-Egypte et le poids lourd des cercueils, dont le soulèvement exige entre 12 et 16 personnes.
Si le cortège des momies royales vers le Musée national de la civilisation égyptienne est accompagné de festivités, de musique et de jeu de lumière, celui organisé vers le bateau Manchiyah à Louqsor était au contraire accompagné des cris des femmes du village vêtues de noir. « Elles font revivre les anciennes traditions funéraires, présentées sur les parois des tombes. Les pleureuses qui devançaient le cortège funéraire de la momie », souligne l’égyptologue Magdi Chaker, expliquant la présence des taxes à l’époque pour faire passer les marchandises au Caire et à la Basse-Egypte. La première destination des momies était le Musée de Boulaq.
Seconde cachette
L'égyptologue Emile Brugsch photographiant les momies.
La cachette de Deir Al-Bahari n’est pas l’unique à abriter des momies royales. 17 ans plus tard, en 1898, l’égyptologue Victor Loret, qui assiste son professeur Maspero, met au jour la tombe d’Amenhotep II, dans la Vallée des rois. « La tombe a été volée pendant les époques anciennes, et les voleurs ont laissé trop de dégâts », explique Amira Seddiq, chef du projet à la Bibliotheca Alexandrina. Victor Loret et son équipe doivent prendre toute précaution en traversant la salle à piliers pleine d’objets brisés et jetés pêle-mêle, et atteignent la salle d’or. Là, ils trouvent le sarcophage du roi avec son couvercle cassé, en présence de la momie d’Amenhotep II dans un cercueil de bois. La tombe étant grande, il lui fallait des jours de fouille et surtout de nettoyage. Enfin, et dans la salle murée, Victor Loret découvre 8 autres cercueils conservant les momies royales, dont celles de Thoutmosis III et IV, de Séthi II, de Ramsès IV et V, ainsi que celle de Mérenptah.
Vu la difficulté de les faire sortir sans dégât, l’égyptologue demande à un menuisier de construire 9 caisses longues pour y mettre les sarcophages royaux. Mais une fois le travail et l’emballage des sarcophages finis, Victor Loret reçoit l’ordre du ministère des Travaux publics de laisser toutes les momies dans la tombe et de la murer à nouveau. Les momies doivent attendre 14 ans de plus pour rejoindre les momies de la première cachette au Musée égyptien en 1912.
Les deux cachettes des momies royales sont le résultat des troubles et de l’instabilité qui ont envahi le pays durant la XXe dynastie. Une ambiance propice pour les pilleurs des tombes de dérober les trésors funéraires. Un sacrilège rejeté par les prêtres qui ont entassé les momies dans ces deux cachettes pour les protéger.
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