La ministre de la Culture, Inès Abdel-Dayem, et l'écrivain Mohamed Salmawy attribuent le prix au romancier Yahia Yekhlef.
Ce n’est qu’à la troisième journée que les invités de la Rencontre internationale du Caire sur le roman arabe se sont attaqués à la thématique principale de cette septième édition. La séance discutant de la littérature numérique, comme l’hypertextuel, a été très applaudie par les intellectuels et le public présents, qui ont regretté qu’elle n’ait pas été celle de l’inauguration. Les définitions et les explications, fournies par les intervenants, ont mis les points sur les i quant à ce thème, relativement nouveau pour le roman arabe, qui a été sans doute marqué par « l’ère du numérique ».
La littérature numérique, née grâce aux développements technologiques utilisés dans le monde romancier, propose une structure faite de liens qui permet au lecteur d’orienter par lui-même son parcours de lecture. Elle permet de créer l’impression d’un dialogue entre le lecteur et l’auteur. Et puisque la participation active du lecteur est exigée, cette littérature met en relief la dimension collective et collaborative de la littérature. Certes, la lecture hypertextuelle s’oppose à la lecture linéaire imposée par la matérialité du livre en papier. Les formes de littérature numérique se multiplient et donnent lieu à différentes pratiques comme les blogs d’auteurs ou les fanfictions, qui regroupent des communautés d’utilisateurs (c’est-à-dire l’écriture, par des fans, de récits inspirés de divers produits médiatiques de masse: séries télévisées, films, romans ou encore mangas). Ces pratiques ont en fait acquis une dimension et une visibilité sans précédent.
Trois principales formes littéraires numériques se sont déployées sur le Web: les hyperfictions (où le lecteur peut ouvrir des fenêtres contextuelles (pop-up) amenant à davantage de descriptions ou d’explications, ou encore à des trames narratives secondaires qui s’ajoutent à la trame narrative principale), les littératures animées (où les lettres s’animent, faisant appel aux modes scénographiques et plastiques pour créer de nouveaux effets de sens) et les littératures programmées (où les codes du programme faisant office de support pour le texte viennent régir le sens).
Plus de 250 critiques et intellectuels, venant du monde arabe, ont discuté, durant cinq jours, au Conseil suprême de la culture, relevant du ministère égyptien de la Culture, le développement des technologies de l’information et de la communication ainsi que leur influence sur le roman arabe. Celles-ci permettent aux utilisateurs de communiquer, d’accéder aux sources d’information, de produire et de transmettre l’information sous différentes formes: texte, musique, son, image, vidéo ou graphique interactive. « Avec mes collègues, nous avons vu qu’il était urgent de discuter du destin du roman dans le monde arabe, à l’ombre des développements fulgurants sur le plan des technologies de l’information. On ne peut pas demeurer isolé de ce qui se passe dans le monde. La forme du roman a changé, et l’on parle aujourd’hui des hyperfictions, des littératures animées, ou encore programmées. Où on en est dans le monde arabe ? C’est une question qui mérite d’être débattue », a expliqué Gaber Asfour, ancien ministre de la Culture, président du comité scientifique de la rencontre et fondateur de cette manifestation culturelle, en 1998.
Le fossé du savoir
Des séances, des tables rondes et des témoignages romanesques se sont déroulés dans le cadre de la septième édition, qui a pris fin le 24 avril dernier et laquelle a été dédiée au romancier soudanais, Al-Tayeb Saleh (1929-2009). Plusieurs papiers académiques ont été présentés par des chercheurs arabes, portant sur des questions pertinentes, comme l’influence de l’informatique sur la structure romanesque ; les aspects expérimentaux dans le roman arabe moderne; l’avenir du récit; la critique et les changements subis par le récit romanesque arabe; le présent et l’avenir du roman arabe moderne; ou encore l’effet des réseaux sociaux sur le roman de science-fiction et de fantaisie. « La littérature dite numérique comprend des formes littéraires rendues possibles par le développement des technologies numériques. D’où de divers enjeux. On peut s’interroger sur le rapport entre l’imaginaire et le réel, sur les frontières entre littérature et réalité. Cela remet également en cause la figure et le statut de l’auteur, qui ne sont peut-être plus les mêmes. Il existe un grand fossé entre ce qui se passe en Occident et dans le monde, en matière de création romanesque arabe », a assuré Rasha El-Leithy, professeure de littérature anglaise à l’Université de Aïn-Chams.
Cette dernière a insisté sur le fait que le critique littéraire devrait s’adapter aux changements en cours, au niveau de la forme et du contenu romanciers, et suivre le progrès des logiciels modernes utilisés dans ce domaine. Et ce, même si, dans le monde arabe, cette révolution n’est pas tout à fait phénoménale. Les deux ou trois tentatives de jeunes romanciers arabes comme le Marocain Mohamad Sanagla et le Bahreïni Hamza Qorayra, annoncent déjà que les jeunes romanciers arabes ne vont pas rester les bras croisés, devant la révolution numérique dans le monde romanesque. « Il faut se lancer dans ce monde numérique, mais aucune obligation n’est imposée à ceux qui préfèrent la forme classique du roman. Rien n’empêche que les deux formes coexistent. Ce genre de débat doit être de mise, pour créer une atmosphère culturelle bénéfique dans le monde arabe. C’est bien mieux que de se livrer à des débats désuets, du genre par quel pied il faut entrer aux toilettes?! », a ironisé Asfour.
La septième édition de la Rencontre du Caire pour la créativité romancière arabe a été riche en sujets et discussions. Les séances, tables rondes et discussions, qui ont pris lieu, seront disponibles gratuitement sur le site électronique du Conseil suprême de la culture. Au terme de cette édition, les intellectuels ont annoncé que la prochaine édition serait dédiée à la mémoire de l’écrivain et militant palestinien Ghassan Kanafani (1936-1972), avec comme thème principal « Le roman arabe face à l’extrémisme ».
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