« Ils crieront contre les chansons, mais les gens chanteront. Ils crieront contre le cinéma, mais les gens insisteront à voir des films. Ils crieront contre les penseurs, mais les gens continueront à les lire. Ils crieront contre les sciences modernes, mais les gens les apprendront ». Il ne s’agit pas de slogans actuels contre les islamistes, mais d’écrits du défunt penseur libéral Farag Fouda.
Les propos de Fouda, assassiné le 8 juin 1992 par deux extrémistes membres de la Gamaa islamiya, résonnent aujourd’hui et révèlent à quel point il « les » connaissait. « Ils rempliront le monde de leurs cris et leurs éclats de voix seront assourdissants. Leurs bombes exploseront.
Les tirs éclateront. Ils seront victimes de tout ce qu’ils font. Ils paieront le prix fort », écrit-il.
Depuis le début du mois de juin, Fouda est commémoré par les jeunes et les intellectuels qui échangent écrits et paroles de ce penseur libre qui a été « l’un des rares hommes ayant osé s’attaquer au terrorisme dès la fin des années 1980 et qui a payé de sa vie cette lutte pour l’esprit libre et contre l’obscurantisme », explique le romancier Saïd Al-Kafrawi. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, nous vivons l’imposition de valeurs et d’une culture intruse à la société égyptienne. Alors, nous nous rappelons Farag Fouda, qui a défendu l’esprit, la liberté, les valeurs de l’Etat civil et l’échange du pouvoir ». Parce que, selon lui, le plus grave en Egypte ces jours-ci est d’instrumentaliser la religion pour exercer le pouvoir. Fouda est un symbole, parce qu’il était accusé d’apostat à l’époque et d’être contre la charia (la loi islamique).
Aujourd’hui, c’est la même accusation qu’envisagent les intellectuels dans leur lutte contre le ministre et contre la frérisation de l’Etat. « Fouda est le symbole de la lutte contre l’Etat religieux. Il était armé par la science, la culture et les idées. Personne n’oublie ce débat dans lequel il a affronté des hommes religieux, dont Al-Ghazali et le guide suprême des Frères musulmans à l’époque, Maëmoun Al-Hodeibi. Il était très clair et courageux », assure Al-Kafrawi.
Ce débat, qui a eu lieu début 1992 lors de la Foire internationale du livre du Caire, est considéré comme la cause principale de son assassinat,
car il y a lié les attentats terroristes sous Sadate à l’incursion de la tendance religieuse es Frères musulmans pour effacer la culture de la société égyptienne.
La grâce de Morsi
Dans les années 1980, Fouda a démissionné du parti politique le néo-Wafd, parce qu’il refusait l’alliance avec les Frères musulmans pour les législatives de 1984. Lors de son jugement, on a demandé au criminel pourquoi il avait assassiné Fouda, il a répondu qu’il était un mécréant, en ajoutant ne pas avoir lu ses ouvrages, car il ne savait ni lire ni écrire.
Aboul-Ela Mohamad Abd-Rabbou a été libéré après la grâce présidentielle de Morsi en faveur de plusieurs prisonniers relevant de la Gamaa islamiya après la révolution du 25 janvier. Une décision critiquée par les intellectuels et les jeunes. « C’est un vrai paradoxe. Celui qui a tué a été gracié ; il est rentré chez lui pour continuer à vivre avec sa famille ! Les ennemis de la pensée sont au sommet du pouvoir », s’indigne Ibrahim Daoud, écrivain et poète. Il valorise le combat qui est aujourd’hui dans toute la société égyptienne. « Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui sont contre la femme, la liberté, la culture, les médias, les pauvres et les ouvriers.
Ils ne connaissent pas l’Egypte. Raison pour laquelle les gens sentent un vrai danger et se sont rappelé les mots de Fouda », insiste-t-il.
Plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui pour rendre hommage à ce libre penseur en revendiquant le fait de le considérer comme martyr.
Elles appellent à honorer ce défenseur de la liberté d’expression qui a indiqué dans l’un de ses ouvrages : « Je ne m’inquiète pas si je suis d’un côté et tout le monde de l’autre. Aucune douleur si leurs voix s’élèvent et leurs épées brillent. Je ne crains rien si celui qui me croit m’a déçu, ni si celui qui s’effraie de mes mots m’attaque. Mais ce qui m’inquiète vraiment est le fait que mon message n’arrive pas à celui que je visais, parce que je m’adresse à ceux qui ont une opinion et non à ceux qui ont des intérêts ».
Farag Fouda
Né en 1945 à Damiette, il a obtenu un magistère de sciences agricoles et un doctorat en économie agricole de l’Université de Aïn-Chams au Caire. Il a publié des articles dans Magallet Octobar (magazine d’octobre) et Al-Ahrar (les libres). Ses écrits suscitaient divers débats dans la société égyptienne, car il plaidait pour la séparation de l’Etat et de la religion. Il y mettait en garde contre la domination des groupes islamistes sur la scène politique parce qu’ils allaient, selon lui, mélanger la politique à la religion. Il y expliquait également comment les islamistes adaptaient les textes religieux pour diffuser le djihad.
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