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Critiques: L’impossible silence

Amr Kamel Zoheiri, Mardi, 23 avril 2013

Inutile de pourchasser les libertés de la presse ou de l’expression. La seule bouée possible pour les hommes politiques est que leur action soit à la hauteur et en accord avec les attentes.

« Rien n’est plus inconsistant qu’un régime politique qui est indifférent à la vérité : mais rien n’est plus dangereux qu’un système politique qui prétend prescrire la vérité ». C’est ainsi que Michel Foucault avait élaboré la fonction du « dire vrai ». Celle-ci n’a pas à prendre la forme de la loi, tout comme il serait vain de croire qu’elle réside de plein droit dans les jeux spontanés de la communication.

En 1984, Foucault avait précisé dans Dits et écrits, la tâche du dire vrai : « La respecter dans sa complexité est une obligation dont aucun pouvoir ne peut faire l’économie. Sauf à imposer le silence de la servitude ».

Cette phrase à méditer trouve tout son sens dans le contexte politique égyptien d’aujourd’hui et même d’hier. Les performances insatisfaisantes du régime en place, président, parti et gouvernement, la chasse aux journalistes, de la presse écrite comme de la télévision, rappelant de la même façon la chasse aux sorcières du Moyen Age.

Bassem Youssef, présentateur-télé du programme satirique, contre lequel on a entamé un procès pour avoir offensé le président et porté atteinte à la religion, en a fait les frais. En plus du discours irrespectueux et machiste à connotation sexuelle du ministre d'Information, Salah Abdel-Maqsoud, adressé à une jeune journaliste pendant une conférence de presse — des propos qualifiés de harcèlement par la victime — qui ne sont que des manières et des méthodes minables pour faire arrêter le temps. Mais il est impossible de faire marche arrière. Certes, finie, peut-être, l’Egypte cosmopolite des années 1920, où les différentes cultures qui cohabitaient sans soucis ne prônaient pas le désir de domination culturelle ou d’imposition à chacun une seule vérité propre à son pouvoir.

L’on passe d’une longue période de tolérance de l’Egypte et des citoyens égyptiens, à un modèle d’enfermement dans un modèle politique de dictature militaire quasi soviétique de caractère. Aujourd’hui, on paye cash la facture de toutes ces années de lecture unique des versions officielles, d’intolérance et d’ignorance. Critiquer les politiques, ou se moquer d’eux, n’est ni la fin du monde, ni dégradant. Cela est même un sport national dans la plupart des démocraties. Mais dans un contexte de division politique de la société en clans, en groupes et en partis, sous deux fausses étiquettes, qui ne sont ni contradictoires, ni significatives : libéraux et islamistes, visiblement cela cause problème.

La véritable arme

Le plus dangereux dans ce contexte de division est que les nuances, les lignes de démarcation entre ce qui est religieux et ce qui est social, entre la parole de Dieu et celle des hommes, entre l’Etat démocratique auquel on aspire et l’Etat théocratique vers lequel on se dirige et duquel s’inspirent les islamistes, ne sont pas si loin l’une de l’autre. Dans ce contexte, l’humour s’avère être la véritable arme de destruction massive, que craint le pouvoir en place. Que ce soit avec Bassem Youssef, sur les réseaux sociaux, ou sur les autres chaînes satellites, la critique des hommes politiques ne cesse d’augmenter.

Et en dépit des poursuites judiciaires déplacées qui n’ont aucun sens sur le chemin de la démocratie, ce que les nouveaux dirigeants doivent peut-être se mettre en tête est que, dire vrai n’est plus la tâche ou le monopole d’un seul homme, parti, groupe ou clan. Grâce à l’avancée technologique et à cause du ras-le-bol des Egyptiens après plus de 30 ans de parti unique, le temps du silence de la servitude, en Egypte, est fini à jamais.

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