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Kadhafi, entre Che Guevara et Mussolini

Alban de Ménonville, Lundi, 24 septembre 2012

Alexandre Najjar retrace la vie du guide libyen avec détails et objectivité. Au-delà de la figure du tyran sanguinaire, il dresse aussi le portrait d’un homme qui révolutionna son pays, lutta contre l’apartheid et sera tour à tour ennemi et allié des pays occidentaux.

Les médias gardent de lui deux images. La première, plus récente, est celle d’un fou sanguinaire qui s’accroche à son trône et bombarde sa population. La seconde, plus drôle, est celle d’un roi auto-proclaméaux nombreuses lubies, d’un personnage original, self-made-man version libyenne. Quoi qu’il en soit, ces deux visions relèvent à la fois du simplisme et du manque d’objectivité caractérisant parfois la presse.

Dans Anatomie d’un tyran*, Alexandre Najjar démêle le vrai du faux et retrace le parcours d’un homme aux qualités exceptionnelles et aux défauts risibles que certains considéreront toujours comme un genre de Che Guevara arabe. Car une question se pose désormais : la Libye n’était-elle pas mieux gouvernée, plus unie, plus stable, plus prospère, plus tolérante sous Kadhafi qu’aujourd’hui ?

Le 31 août 1969, les Libyens entendent pour la première fois la voix de leur futur guide. Kadhafi est au siège de la radio et le roi Idriss en Turquie pour sa cure annuelle. « Peuple de Libye ! La Libye est à partir de ce moment une République libre et souveraine ». Très vite suivront des réformes importantes menées par celui qui s’impose comme l’homme fort de la révolution. Kadhafi nationalise le pétrole, double le salaire minimum, réduit les prix des loyers, transforme les palais royaux en bâtiments publics. « Mais il est encore à mille lieues du personnage extravagant à venir », écrit Najjar pour qui les frasques du leader cachent avant tout une grande timidité et une certaine inexpérience de la diplomatie.

Pourtant, dès les premières années, la politique étrangère de Kadhafi s’avérera particulièrement habile. Anti-américain, il garde ses distances avec l’URSS et s’allie avec la France. Malgré une farouche opposition d’Israël, Pompidou signe un contrat de vente d’armes, livrant à la Libye, précise Najjar, « 110 avions Mirages, des hélicoptères, des missiles air-air, des bombes Matra, des missiles Cobra, des radars, des chars … ». La liste est longue.

Sur le plan intérieur, Kadhafi se fait des ennemis, notamment les islamistes. C’est l’heure où Nasser défend le panarabisme et les Américains le panislamisme. « Si Kadhafi est trop pieux pour être parfaitement nassérien, il est, dans le même temps, trop nassérien pour ne pas s’opposer à une émergence de l’islam politique », relate l’auteur avec raison. Car le guide combat les islamistes, mais s’improvise lui-même imam et cherche à faire autorité en matière de religion, fustigeant le voile autant que les caricatures de Mohamad (PSL) publiées — déjà ! — dans les journaux scandinaves. Nous sommes en 1980, quelques années après la parution de son fameux Livre vert.

 

Le Fidel Castro africain

Parallèlement, le guide joue au Fidel Castro africain et soutient divers mouvements de libération. Certains, considérés par les Occidentaux comme des mouvements terroristes, lui vaudront l’ire de l’Europe et des Américains. Il aurait ainsi financé, selon Najjar, les indépendantistes Kanaks en Nouvelle Calédonie, les nationalistes corses, l’ETA ou encore l’IRA. « Mais il soutient aussi le combat clandestin du Congrès national africain en lutte contre l’apartheid — ce qui lui vaudra, en 1997, les éloges de Nelson Mandela », écrit l’auteur. Si le bilan de ces aides est mitigé, un certain nombre de ces combats indépendantistes restent considérés aujourd’hui par beaucoup comme des causes légitimes.

Mais ces aides font de Kadhafi l’homme à abattre pour plusieurs pays qui ne supportent pas ces soutiens. Viendra l’affaire du DC-9 d’Itavia. Francesco Cossiga, ancien président italien, affirmera qu’il s’est agi d’une erreur consécutive à une tentative d’assassinat du guide libyen. En tout état de cause, des avions de l’Otan et des Mig libyens étaient dans le ciel à ce moment-là. Plus obscur encore est l’attentat du Boeing 747 au-dessus de Lockerbie qui causa la mort de 270 personnes. On accuse l’Iran, la Syrie mais aussi la Libye qui refuse d’extrader deux suspects. La Libye devient Etat voyou aux yeux des Occidentaux. Najjar rappelle cependant un fait important : « Cinq mois avant l’attentat de Lockerbie, le navire de guerre américain USS Vincennes envoyait un missile sur un airbus d’Iran Air transportant 290 personnes ». Dans ces destructions d’avions civils, les Etats-Unis se placent en bonne position.

Le livre de Najjar regorge de rappels de faits mis de côté pendant la guerre anti-Kadhafi de l’Otan, largement soutenu par la presse arabe et occidentale. Le bilan de Kadhafi — est-ce la peine de le préciser ? — est mitigé. Il régna d’une main de fer, persécutant les opposants et les islamistes et les torturant, parfois à la demande des Etats-Unis. Plusieurs massacres sont aussi à mettre sur son compte.

Sa mort en dit beaucoup sur l’homme qu’il a été. Jusqu’au dernier jour, il combattit, aux côtés de quelques fidèles, les extrémistes venus l’abattre aux cris de « Allah Akbar ». Après la fin des combats, les photos de presse montraient une ville de Syrte — où le guide s’était réfugié — détruite intégralement par les bombardements de l’Otan. D’une ville prospère, il ne restait plus rien. Le livre de Najjar n’est ni un éloge du guide, ni un essai qui vient donner raison à ceux qui ont qualifié Kadhafi de fou, de tyran sanguinaire, de roi excentrique. Il retrace la vie d’un personnage timide et brillant, apeuré et courageux, visionnaire et capricieux. Sans jamais faire de concession sur les nombreux bons et mauvais côtés.

* Anatomie d’un tyran d’Alexandre Najjar. Editions Actes Sud – L’Orient des Livres, 2012

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