Les marginaux ne sont pas les héros de ce roman. Mais il s’agit plutôt d’imbéciles, ceux qui manquent de culture et de savoir, de par le monde, ceux qui prétendent être intelligents et civilisés. Le nouveau roman de l’écrivain égyptien Ahmad Al- Fakharani, Bar Layalina, s’attaque à la réalité d’une catégorie de personnes que l’on côtoie en société. En 152 pages, l’auteur critique les soi-disant intellectuels et penseurs. Il raconte l’histoire d’un comparse, Nouh Al- Rahimi, lequel a un amour fou pour le cinéma depuis l’enfance, de quoi l’avoir conduit à un endroit où il pourrait réaliser son ambition : le café Baera. Un café réputé pour être le lieu de rencontre des figurants et régisseurs, et qui existe réellement à la rue Emadeddine, dans le centre-ville du Caire.
Là-bas, Nouh rencontre Nadim Al- Sabbane, et sa vie prendra un nouveau tournant. Il décide de partager son monde et de s’introduire dans les cercles intellectuels. Il fréquente les journalistes travaillant dans le magazine Bab Al-Haqiqa (la porte de la vérité), où travaille Nadim. Nouh devient également un habitué de leur lieu de rencontre favori, Bar Layalina (le bar de nos veillées), où se retrouvent intellectuels, écrivains et journalistes. L’univers de ces derniers apparaît riche au loin, mais en réalité, il s’avère vide de tout sens. Le figurant cherche à comprendre les dessous de ce monde, et surtout comment des imbéciles aux capacités limitées peuvent se transformer en personnes aux allures intelligentes.
Il prétend être un riche producteur de films, pour être mieux accepté. Puis, la vérité éclate au grand jour, et il est mis à la porte, étant devenu la risée de tout le bar. « Les événements se déroulent entre le début des années 2000 et 2020. (…) J’ai tenu à donner corps à des personnages bien réels, en chair et en os, représentatifs de la vérité des Hommes dans notre société. Et ce, pour aborder le thème du mensonge, qui nous entoure de partout », a expliqué Al-Fakharani lors de la soirée de dédicace organisée récemment par la maison d’édition Al-Shorouk. Et de préciser : « Les intellectuels vivant dans leur bulle, séparés des gens, et leur prétention d’être plus civilisés m’ont poussé à écrire ce roman ».
Dédicace et débat dans les locaux de Consoleya, au centre-ville du Caire.
La réalité choquante
Dès les premières pages du roman, on saisit rapidement que Nouh Al-Rahimi, le personnage principal, représente les personnes médiocres, qui prétendent ou croient véritablement avoir du talent. Il essaie de se rapprocher des journalistes de la revue Porte de la vérité, pensant qu’ils étaient de vrais intellectuels, en ayant en tête de devenir un acteur de renommée.
Le romancier tourne en dérision un grand secteur du milieu culturel et artistique, ces soi-disant penseurs et ceux qui les croient. A travers les habitués du bar, il analyse ces sphères qui brillent de mille feux au loin. Il critique le rôle des intellectuels, met à nu leurs conflits et leurs manières d’interagir. Bar Layalina aborde aussi le rapport entre l’élite et le peuple, affirmant que l’un est le miroir de l’autre. Le langage de Nouh, le figurant, est assez simple et direct, face au jargon intellectuel, presque incompréhensible et emphatique.
Au potentiel limité, il a décidé quand même de comprendre et d’imiter ces pseudo-intellectuels qui l’entourent. Et c’est là qu’il découvre leur côté mensonger, qu’ils sont « vides à l’intérieur ». Le roman met le lecteur en garde contre les imbéciles et les faux jetons. On finit par voir nous aussi qu’un imbécile ou un ignorant ne se rend jamais compte de sa bêtise et n’arrive pas à en mesurer l’ampleur. Du coup, il ne cherche pas à s’en débarrasser. La porte de la vérité, dans ce roman, s’ouvre sur tant de pourriture et de fragilité.
Bar Layalina, d’Ahmad Al-Fakharani, aux éditions Al-Shorouk, 2022, 152 pages.
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