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De la survie de l’amour en temps de haine

RFI, Dimanche, 02 décembre 2018

Au fil de ses oeuvres, l'écrivain mauritanien Beyrouk s’est imposé comme l’une des grandes plumes des lettres africaines. Son nouveau roman Je suis seul, court et poignant, traite du fanatisme.

De la survie de l’amour en temps de haine

Empreints de lyrisme et convoquant des personnages de femmes à la fois lumineux et puissants, les romans de l’écrivain maurita­nien Beyrouk mettent en scène des sociétés patriarcales sahariennes qui se frayent diffici­lement leur chemin vers la modernité. L’écrivain avait été couronné par le prestigieux prix Amadou Kourouma pour son troisième roman Le Tambour des larmes (2015). Son nouveau roman, intitulé Je suis seul et publié par la maison d’édition tunisienne Elyzad, raconte le triste destin d’une cité du désert tombée aux mains des fanatiques religieux.

« Je n’ai jamais arrêté de lire », aime à répéter le romancier Beyrouk, natif d’Atar, ville du nord de la Mauritanie, et fils d’un père instituteur à l’école coloniale. Si c’est à son père qu’il doit d’avoir connu Victor Hugo et les grands classiques de la littérature fran­çaise, le romancier doit à sa propre curiosité sa découverte des gestes et des légendes des sociétés sahariennes.

Proche de la tradition des conteurs maurita­niens qui sont très poétiques dans leurs décla­mations, le Mauritanien a écrit un recueil de nouvelles et quatre romans, situés au carre­four des traditions européenne et africaine. Racontée dans une langue puissamment poé­tique, la fiction de Beyrouk met en scène la réalité encore féodale des sociétés maures du désert, avec des figures de femmes saisis­santes d’irrévérence et de courage. Je suis seul, le nouveau roman sous la plume de cet auteur mauritanien francophone, s’inscrit dans cette lignée.

En attendant Nezha

De la survie de l’amour en temps de haine

A mi-chemin entre En attendant Godot et Les Mille et une nuits, ce nouveau roman raconte un récit haletant de trahison et de survie de l’amour au temps de haine et de violence djihadistes. Il faut lire ce livre bref et intense d’une centaine de pages comme un conte des temps modernes, avec ses sultans misogynes et ses Schéhérazades qui s’acti­vent dans les coulisses contre l’obscuran­tisme. Au coeur de l’intrigue, l’attente becket­tienne jamais comblée d’un sauveur (d’une sauveuse, en l’occurrence), sur fond de déré­liction et de néant qui menacent de toutes parts. Construit comme un monologue inté­rieur ou un soliloque, Je suis seul donne à entendre la parole d’un narrateur sans nom pris au piège de ses propres défaillances et de l’Histoire avec un grand « H ».

L’homme est un bon vivant, un intellec­tuel opportuniste, recherché par les fonda­mentalistes à cause de ses articles dans la presse se moquant de la religion. Il n’a pas vu venir la chute du régime qu’il soutenait. Sa ville a été prise d’assaut par les djiha­distes, qui font régner la terreur et la haine au nom de la pureté religieuse. L’homme a dû trouver refuge dans la maison de son ancienne compagne, Nezha. Elle le cache dans une chambre étroite, les volets tirés : elle lui a interdit d’allumer la lumière de peur d’attirer l’attention des fanatiques qui paradent dans les rues. Dans la pénombre et le silence, l’homme traqué attend le retour de la belle Nezha, pour qu’elle l’aide à quitter la ville. Mais celle-ci, sortie vaquer à ses occupations, tarde à revenir. « Combien de temps durera encore cet enfermement ? », s’interroge le prisonnier. « Combien de temps supporterais-je de rester claquemuré dans un caveau sombre où la lumière est interdite ? ». Ce huis clos est le décor oppressant où se déroule l’action du roman .

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