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Au-delà de la mort

Dina Kabil, Lundi, 26 mars 2018

Au côté de son discours inébranlable sur le conflit israélo-palestinien, le Koweïtien Ismaïl Fahd Ismaïl opte pour le roman. Il revisite la fin fatale du caricaturiste Naji Al Ali, symbole de la résistance palestinienne.

Au-delà de la mort

L’écrivain Ismaïl Fahd Ismaïl a voulu, par son nouveau roman Ala Ohdat Hanzala (d’après Hanzala), rendre éternelle l’image du militant palestinien, Naji Al Ali, mais surtout ressusciter sa mémoire et ses souvenirs, 30 ans après sa mort. Il a ainsi choisi une date lointaine, le 22 juillet 1987, celle de l’assassinat de son ami Naji Al Ali à Londres, lorsqu’il fut atteint d’une balle dans la tête et a succombé à ses blessures à Charing Cross Hospital. Il était le premier caricaturiste assassiné pour ses dessins.

Il a fait en sorte que son roman se déroule pendant les cinq semaines que Naji Al Ali a passées à l’hôpital résistant à la mort, jusqu’à sa mort le 29 août 1987. Conforté par son imagination fructueuse et par sa connaissance profonde de la personne d’Al Ali, l’écrivain Fahd Ismaïl, « biographe » à sa manière, transforme dans son roman cette mort clinique en un conflit avec la conscience, un mécanisme de remémoration. Pour cette fin, il s’appuie sur le personnage de Hanzala, le double de Naji, et qu’il décrit dans son récit comme étant sa « conscience implicite ».

Mais qui est Hanzala? Malgré sa renommée qui dépasse celle de l’auteur et de son ami Naji Al Ali, l’histoire de Hanzala doit être répétée pour ranimer les mémoires et résister à l’oubli. Hanzala est un personnage créé par Naji Al Ali, il est apparu pour la première fois en 1969 dans ses caricatures, dans le journal koweïtien Al-Siyassa (la politique). Or, dans le train pris de Bagdad jusqu’à Basra, puis au Koweït, Al Ali découvre le hanzal, un fruit fortement amer, et décide de donner ce nom à son double partenaire et alter ego qui l’accompagnera dorénavant dans tous ses dessins. Ce petit garçon est donc né, âgé de 10 ans, l’âge qu’avait Naji lorsqu’il a quitté la Palestine. C’est le témoin de la tragédie de tout un peuple, toujours dessiné de dos, visage tourné vers la Palestine, et il restera toujours à ses 10 ans jusqu’au retour des Palestiniens. C’est alors qu’il grandira dans sa terre natale, sa terre naturelle, comme l’a voulu Naji Al Ali.

Dans le roman, Hanzala, l’icône de la révolution et le totem du retour, ne cède jamais à la maladie de son ami Naji. Il lui reproche sa soumission à la maladie et à l’agonie. Il le secoue, éveille sa conscience et réanime les souvenirs au fond de lui-même. C’est ainsi que la mort clinique se transforme, au fil des pages du roman, en une histoire de résistance. Une victoire, non seulement sur la mort, mais aussi sur l’effacement et l’oubli.

L’époque de la pureté révolutionnaire

Au-delà de la mort

Le grand défi de Fahd Ismaïl dans son roman est de rappeler l’esprit de Naji Al Ali, sa pensée, ses positions et ses déclarations, 30 ans après sa mort. Alors que les territoires palestiniens sont systématiquement judaïsés, il nous incombe de revenir aux racines et aux origines. Fahd Ismaïl rappelle l’époque de la pureté révolutionnaire et le constant rejet par Naji Al Ali des négociations sur les territoires occupés, son face-à-face avec l’OLP et avec les régimes arabes qui adoucissent le ton avec l’ennemi. Dans un dialogue proche du monologue intérieur entre Naji Al Ali et son alter ego Hanzala, il répond à la question de ses adversaires qu’il nomme « les méchants » : « Ce sont tous ceux qui marchandent avec notre cause, sans exception aucune ». Hanzala essaye de le taquiner: « N’insinues-tu pas là les négociateurs ? », et Naji réplique fermement: « Celui qui renonce à une partie de ses droits au profit de son agresseur, sous le label de la terre contre la paix, perdra un jour, et après de longues procrastinations qui dureront des décennies, la totalité de ses droits et ce, quels qu’ils soient ».

Contrairement aux biographes qui relatent la vie et le parcours d’une personnalité qui a laissé des traces indélébiles, Fahd Ismaïl se cache derrière le personnage de Hanzala. Celui-ci prend les rênes de la narration, réussit parfois à arracher son ami Naji du fond de l’inconscience, et échoue parfois à capter les moments fugitifs de la conscience, il invite son ami à « laisser le réel de côté et se servir de la fiction ».

Une technique artistique très subtile qui permet à l’écrivain de se mettre dans la peau de Naji, de plonger dans le fin fond de sa conscience et de combler les lacunes de la mémoire. Fahd Ismaïl imagine donc les positions de Naji dans des circonstances précises, il plonge dans son inconscient et ne suit pas d’écriture traditionnelle, ou même de dialogue proprement dit. Mais un monologue entre deux strates de conscience qui battent la mort, Naji et Hanzala. Le roman s’achève d’une manière connue de tout le monde: le corps révolté n’arrive plus à surmonter l’impotence et préfère se retirer. Mais la voix de son ami, Hanzala, restera à jamais la voix chicaneuse qui accompagne la résistance et le droit au retour .

Ala Ohdet Hanzala (d’après Hanzala), d’Ismaïl Fahd Ismaïl, éditions Al-Aïn, Le Caire 2017.

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