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L’improvisation, ça ne s’improvise pas !

Lamiaa Alsadaty , Samedi, 26 août 2023

Zobaïda est le nouveau spectacle du Projet de la chorale, qui vient de fêter son 13e anniversaire. Basé sur l’improvisation, le spectacle a connu un grand succès. Il est repris au théâtre Rawabet.

L’improvisation, ça ne s’improvise pas !
Alternance continue des rôles.

Avec le projet de la chorale, l’expression, la performance et la création cohabitent de manière inséparable. L’improvisation est un acte constitutif d’individualisme, mais d’individualisme ouvertement collectif. Les participants n’ont pas forcément d’expériences de base dans le domaine du chant, de la danse ou du théâtre. Alors, comment se passe leur atelier d’improvisation ? « L’atelier d’improvisation vise à s’entraîner afin d’acquérir certaines compétences (cohésion d’équipe, éloquence, exercice de relaxation et détente …), et ce, afin de se préparer collectivement à improviser », souligne Salam Yousry, directeur artistique du Projet de la chorale. Et d’ajouter : « La bienveillance et l’écoute sont les deux mots-clés de mes spectacles, notamment ceux conçus pour le Projet de la chorale ».

L’improvisation offre ainsi aux participants la possibilité de découvrir la scène et de développer des histoires …, des atouts qui s’apprennent en cours de route.

Ayant débuté en 2010, le point de départ du Projet de la chorale consistait à organiser des ateliers courts, afin d’arriver à présenter un spectacle devant un vrai public. « Le nombre de participants au bout de quelques mois a atteint 200 personnes. On a travaillé à l’époque sur les proverbes égyptiens, lesquels ont conduit à la création d’une série de chansons. En outre, on a été invité à organiser des ateliers à l’étranger : Allemagne, Hongrie, Jordanie, etc. », rappelle Salam Yousry. Et d’ajouter : « Sept ans plus tard, on a lancé un nouvel appel de candidature, dans le but de monter un spectacle dramatique complet. 40 personnes sur 70 ont été sélectionnées par l’ensemble du groupe. On s’est lancé, par la suite, dans un travail continu sur la voix, la présence sur scène, la composition, la dramaturgie, le son, etc. même la distribution des rôles a été faite selon une décision collective ».


Le dernier mot ne relève pas du metteur en scène, Salam Yousry.

C’est ainsi qu’est né le spectacle Zobaïda, qui est avant tout un projet de bénévolat. Car les ateliers dont il est le fruit étaient entièrement gratuits ; on avait juste à payer le loyer grâce aux contributions des participants de tout âge et de toutes les classes socioculturelles.

« Le thème de ce spectacle tourne autour de la perte. Chacun, le long de sa vie, a perdu quelqu’un ou quelque chose. La perte est inhérente à notre vie. Mais ayant conscience de ce qu’on a perdu, pourrait-on vraiment le récupérer ? », s’interroge Yousry.

L’un des jeunes protagonistes, Homos, part à la recherche d’un sac à dos qu’il avait oublié lorsqu’il était élève. La surprise fut que le sac se trouve chez la tante de Nora, sa camarade de l’école, qui l’aimait bien, alors que Homos, lui, était indifférent car épris de Zobaïda, une autre amie de classe. Arrivant chez la tante de Nora, Homos se montre heureux d’avoir enfin trouvé son sac. Toutefois, celui-ci s’ouvre sur son ancien amour, Zobaïda. Cette dernière prend le sac à dos et s’enfuit.


On ne cesse d’être surpris par la voix des uns et des autres.

Selon Salam Yousry, ce thème était parmi 4 autres proposés par le groupe. Pour le choisir, ils sont passés par des discussions et des modifications, jusqu’à parvenir à un consensus, avant de démarrer. Et Yousry de préciser : « Toute proposition même minime doit être prise en considération. Chacun d’entre nous a quelque chose à dire. Les participants vont donc devenir successivement auteurs, acteurs, metteurs en scène … L’intérêt qu’ils éprouvent pour l’histoire qu’ils veulent tous raconter est le moteur pour mieux formuler leur pensée, mieux articuler, mieux bouger, aider leur partenaire en difficulté ».

Par-là, il s’agit d’aborder de l’intérieur la compréhension du processus théâtral, et la liste des compétences à acquérir est longue.

Je propose …

Mais le rôle du metteur en scène ne risque-t-il pas d’être extrêmement réduit ? « Je ne crois pas en la hiérarchie en tant que forme idéale au théâtre, que je conçois comme un art de coopération, où de nombreux artistes se réunissent et travaillent ensemble, où la sensibilité, l’expérience et la volonté des autres doivent être prises en considération. La phrase (Je propose) est la clé de tout. Travailler 6 mois sur un spectacle fait jaillir non seulement des idées, mais aussi un certain mécanisme permettant de prendre la décision adéquate », explique Yousry. Et si vous n’êtes pas convaincu de l’opinion unanime ? « J’essaie de mettre de côté mon opinion. C’est un bon exercice en soi. Il faut respecter le fait que l’intelligence collective dépasse l’expérience individuelle. Je fais partie d’un groupe à qui je fais confiance. Et il faut dire que parfois, les non professionnels sont d’une créativité stupéfiante, étant en dehors des cadres académiques classiques ». Yousry possède l’expérience qui lui permet de rendre les scènes cohérentes du point de vue de la composition, du son et du jeu … Bref, techniquement et artistiquement.

Il va au-delà du cliché de la responsabilité individuelle du metteur en scène et opte pour l’imaginaire du groupe, afin de réussir une oeuvre collective plus riche.

Par ailleurs, l’improvisation, ce n’est pas donné pour tout le monde. « Un musicien extraordinaire n’est pas forcément un bon improvisateur …c’est quelque chose plutôt en lien avec la spontanéité : comment communiquer avec les autres, interagir, profiter de l’occasion pour exposer une idée en public, etc. », indique Yousry.


Un peu de hula hoop pour égayer la scène.

Narrations chantées

Un spectacle de chant, plein de dérision et de mouvement qui dure une heure et dix minutes, telles sont les principales différences entre Zobaïda et les spectacles précédents du Projet de la chorale, qui reposaient uniquement sur la narration par le chant.

Et comme le travail sur Zobaïda a commencé en 2017, il y a eu sans doute plusieurs modifications jusqu’à arriver à la version en cours. Le groupe a revu toutes les anecdotes en question pour aller de pair avec le moment actuel ; il a développé la narration, a modifié le chant, le jeu, et a même opéré un changement au niveau des acteurs, puisque certains sont partis ou ont cessé de jouer.

13 ans après le Projet de la chorale, quels sont les objectifs atteints jusqu’ici ? « Il n’y avait pas d’objectifs, au départ. Mais il s’agissait plutôt d’une volonté de créer un espace libre et ouvert qui prône l’inclusion de manière à voir comment l’individu peut avoir un rôle au sein d’un groupe et comment le groupe peut contribuer à l’évolution de l’individu », explique Salam Yousry, dont le projet a fini par se trouver une place sur la scène théâtrale égyptienne.

Pourtant, les défis ne cessent de grandir avec notamment une forte augmentation des prix. Par exemple, le billet qui coûtait 30 L.E. au début est maintenant à 200 L.E. Cette escalade risque d’affecter un projet associatif fructueux. « Je suis contre la durabilité. C’est naïf comme concept. Le changement est à la base de tout dans la vie … un projet s’arrête pour se lancer dans un autre », conclut Yousry, qui ne cède pas facilement.

Du 27 au 30 août, de 20h30 à 22h15, au théâtre Rawabet. 5, rue Hussein pacha Al-Meamari, Maarouf, Qasr Al-Nil, centre-ville du Caire.

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