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Des petits personnages en bouteilles

May Sélim, Mercredi, 19 octobre 2022

Auteure et critique littéraire, Samia Mehrez révèle un nouveau talent. Elle expose jusqu’au 15 novembre, à la galerie Al-Falaki, au Centre culturel de Tahrir, ses Samboozies. Des personnages qu’elle a créés à partir de bouteilles vides.

Des petits personnages en bouteilles
Samia Mehrez avec ses Samboozies.

« Ah! Ce sont des bouteilles! », lance l’artiste-peintre Mohamed Abla, une fois arrivé à la galerie Al-Falaki, où expose Samia Mehrez, la professeure émérite de lettres arabes au département de civilisations arabe et islamique de l’Université américaine du Caire (AUC).

Samboozies, An Aesthetics of Junk (les alcoolisés de Sam, une esthétique de pacotille) est, en fait, sa première exposition.

Impossible de ne pas sourire devant ces figurines de bouteilles, qui nous accueillent avec un clin d’oeil, un air coquin, leurs petits accessoires brillants. Ce sont des représentations de personnages qui sont chers à l’artiste et qui appartiennent à la mémoire collective de la société égyptienne.

Organisée par la société Art d’Egypte en coopération avec le Centre culturel de Tahrir (TCC), l’exposition nous révèle un autre visage de Mehrez. « Le mot artiste m’étonne! C’est énorme pour moi! J’ai toujours aimé travailler avec les mains, et je me contentais de recycler mes bouteilles. Celles-ci étaient le plus souvent des bouteilles d’alcool que buvaient autrefois mes parents. Je les ai gardées et les remplissais d’eau potable pour les mettre au frais, comme font beaucoup d’Egyptiens. Je les gardais aussi parce qu’elles avaient une belle forme », précise Samia Mehrez, dans une rencontre avec l’artiste (Artist-Talk), tenue le lendemain du vernissage.


Elvis The King. 

Durant les années 1990, après son retour des Etats-Unis, elle a commencé à les travailler, afin d’en faire des personnages plutôt rigolos. « Mon ancien bureau, à la rue Al-Falaki, se trouvait dans un ancien bâtiment qui servait de dortoir pour les étudiants universitaires. Puis, on a changé de bureau, et on a déménagé dans l’immeuble juste en face. L’AUC a demandé aux étudiants de créer des installations pour décorer l’ancien bâtiment, abandonné. Ces derniers ont eu recours à des bouteilles en verre qu’ils ont colorées et placées sur les balcons de l’immeuble. Ce qui a redonné vie au site. Avant de partir carrément et d’installer le nouveau campus au Tagammoe, j’ai trouvé les bouteilles colorées dans les corbeilles. J’en ai sauvé 9, dont une était cassée. Je les ai gardées pendant plusieurs années dans ma résidence secondaire à Aïn-Sokhna », raconte-t-elle.

Au bout d’un certain temps, elle a voulu en faire quelque chose. Et a donc pensé à recycler d’autres bouteilles, pour avoir un nombre suffisant. « J’ai demandé à mes amis de me prêter leurs bouteilles en verre, inutiles », dit-elle. Les matériaux utilisés sont multiples : des filtres de cigarettes, des pinces à cheveux, des stylos, des brosses à dents, des filets, des éponges inox, des bouts de tissu, des perles colorées, des accessoires, des boîtes d’allumettes, de petits miroirs, des dentelles, des boutons, des services culinaires jetables, des fils en laine et en coton. Mehrez a même eu recours à un ancien t-shirt de couleurs gaies qu’elle portait il y a 30 ans, pour le transformer en une robe. Bref, elle n’a rien acheté, sauf quelques balles de ping-pong, pour faire les têtes de ses personnages.

Boire comme un Egyptien

A l’entrée de la galerie, à droite, il y a l’autoportrait de l’artiste. Une bouteille en verre, une chevelure colorée, un collier confectionné à l’aide de filtres de cigarettes. La dame paraît en parfait désordre, portant sur le corps une petite bouteille de Jack Daniel, une boîte de cigarettes Camel, des pinceaux dans un trousseau et un miroir. Ses livres en miniatures sont attachés par un fil sur le dos. L’artiste et universitaire a décidé de se présenter ainsi au public, l’incitant à découvrir son monde.


La dame (Oum Kalsoum).

Le titre même de sa collection est assez significatif. Samboozies est une association entre le diminutif de Samia et boozies qui signifie en anglais buvant ou contenant beaucoup d’alcool (les alcoolisés). « Après de longues discussions et des va-et-vient entre plusieurs choix, c’est finalement mon amie Heba Al-Kholy qui a donné ce titre à l’exposition », souligne-t-elle.

Les bouteilles recyclées revêtent par ailleurs des figures de politiciens, d’artistes et de personnalités connues du monde entier. Imprégnée par l’histoire de l’Egypte Ancienne, Mehrez ressuscite quelques-uns de ses rois avec humour et les intitule : Drink Like an Egyptian (boire comme un Egyptien).

Le leader de la Révolution de 1919, Saad Zaghloul, est bien présent avec tarbouche et cravate, ainsi qu’une moustache épaisse. Il tient en main une bouteille en verre et un briquet, ce qui le rapproche de l’allure des jeunes révolutionnaires modernes, qui ont recours au cocktail Molotov durant les manifestations. Comme titre, elle a choisi de reprendre la fameuse expression de Zaghloul « Mafich fayda » (c’est inutile!).

Madame Fifette chez le coiffeur est inspiré du journal de Madame Fifette écrit par Mouafak Chourbagui dans une série publiée sur Facebook, ironisant la bourgeoisie égyptienne.

C’est facile de reconnaître Oum Kalsoum dans l’oeuvre Al-Sett (la dame), avec sa chevelure noire et son foulard en main. La star des années 1950 et 60 Tahiya Carioca est vêtue d’un costume noir de danse orientale. Puis, nous retrouvons une autre danseuse-vedette de l’époque, Samia Gamal, le footballeur Mo Salah et sa fille Mekka, le professeur d’art dramatique Mahmoud Al-Lozy, et d’autres.

Bye bye Lilibet

Une série de quatre bouteilles portant des t-shirts bleus sur lesquels est inscrit en majuscule le titre du tube de la troupe rock The Beatles H E L P (au secours) est exposée au-dessus d’une autre intitulée Lonely Hearts. Ainsi, les références se multiplient: Elvis Presley avec sa guitare et sa coiffure banane, Bob Marley portant un tricot, etc.

Pour rendre hommage à la reine Elizabeth II, qui s’est éteinte le mois passé, Mehrez la représente dans une robe et un manteau en lilas, sa couleur favorite. Elle donne son dos au public, et l’artiste écrit dessous Bye bye Lilibet.

La statue de la liberté est quasiment massacrée. Mehrez dévoile ses avis politiques, non sans humour. La fameuse statue se transforme en un ivrogne portant un châle blanc, avec des taches de sang. Et ce, afin de condamner la politique des Etats-Unis, faisant tant de guerres et de victimes.

Certaines oeuvres évoquent le cabaret, les estivants, le Voodoo, des personnages africains, des filles glamours, etc. « Je suis heureuse que mes bouteilles soient sorties de chez moi à la rencontre du public, ça me fait vraiment plaisir de voir que mes Samboozies dessinent des sourires sur les lèvres des gens », constate Samia Mehrez.

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