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Magdy El-Shafee : Avec la BD, nous pouvons imaginer le monde différemment

Névine Lameï, Lundi, 25 septembre 2017

Le Festival international de bande dessinée Cairo Comix vient de clôturer sa 3e édition à l’Université américaine du Caire, campus Tahrir. Il s’agit d’une célébration annuelle qui dresse l’évolution de ce genre artistique indépendant en Egypte, et plus largement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Entretien avec son directeur chargé de la programmation, le bédéiste Magdy El-Shafee.

Magdy El-Shafee
(Photo:Amir Abdel-Zaher)

Al-ahram hebdo : La 3e édition du Cairo Comix a choisi comme titre Al-Mogammae (le com­plexe), pour désigner le forum de rencontres entre artistes de BD et public. Est-ce en réfé­rence au complexe administratif situé à la place Tahrir, à quelques pas de l’AUC ?
Magdy El-Shafee : Bien au contraire, le « Complexe » de Cairo Comix est ouvert sur le reste du monde. Il est assez accueillant et symbolise le changement et la liberté d’ex­pression. Mogammae fait ici référence à cette faculté de pouvoir rassembler plusieurs artisans de la BD (bédéistes, éditeurs …) de divers pays du monde arabe et occidental (Egypte, Liban, Libye, Tunisie, Palestine, Etats-Unis, France, Espagne …), à quelques pas de la place Tahrir, symbole de la révolution égyptienne.

Grâce aux stands de vente, ouverts dans le jardin de l’AUC tout au long du festival, les amateurs de cet art peu­vent soit acheter les oeuvres disponibles, soit jeter un coup d’oeil pour parcourir les nouveautés.

On met l’accent, à travers Cairo Comix 3, sur la capacité intellectuelle de la BD à repenser le monde, à surmonter tout obstacle, etc.

— Cette 3e édition est dédiée à la mémoire du dessina­teur Hégazi, à travers une exposition intitulée Tanablet Al-Sobiane (les petits cancres) …
— Chacune des éditions du Cairo Comix lance un clin d’oeil à un bédéiste égyptien ; l’année passée, c’était Mohieddine Al-Labbad et son personnage Zaghloul. C’est une manière de fournir un travail bien documenté sur l’histoire de la BD en Egypte.

Cette année, c’est le tour de Hégazi et son chef-d’oeuvre, Tanablet Al-Sobiane, publié dans les années 1960, aux édi­tions Al-Hilal. Il s’agit de trois garçons paresseux : Chamloul, Bahloul et Tanboul, qui se trouvent, malgré eux, impliqués dans des aventures rocambolesques de pillage. Bien que cette série ait aujourd’hui plus de 50 ans, elle demeure toujours moderne, gar­dant la fraîcheur de ses couleurs et capable d’impressionner, plu­sieurs années après la mort de son créateur. Ce qui est étonnant avec l’oeuvre de Hégazi, c’est son côté anticipatif. A travers les trois cancres, il a prédit en quelque sorte l’arrivée de l’Infitah, ou la politique de l’ouverture sous Sadate, quelque 20 ans avant son avènement. Nous discutons actuellement avec la rédactrice en chef du magazine Samir, Chahira Khalil, la possibilité de rééditer Tanablet Al-Sobiane.

— Pourquoi choisir, cette année, de nous faire redécouvrir l’école espagnole de la BD ? Quelles sont ses caractéristiques ?
— L’école de la BD en Egypte est plus proche de la BD franco-belge, hantée par la vie quotidienne. L’école espagnole est assez singulière, marquée par les sujets socioculturels des années 1980, qui ont inspiré des cinéastes comme Almadovar, ainsi que des créateurs de comics, au style intense, réaliste et rigoureux. D’où l’idée d’une autre exposition de BD espa­gnole, tenue dans le cadre du Cairo Comix 3, sous le titre de Massarat (trajectoires), organisée en collaboration avec la fon­dation Al-Fanar. L’exposition regroupe 10 bédéistes espagnols avec à leur tête le scénariste et illustrateur, au style simple, révolutionnaire et libéral, Alfonso Zapico, réputé pour son album en noir et blanc, Café Budapest, sur la fondation de l’Etat hébreu. L’action débute donc à Budapest en 1947. L’exposition montre aussi l’oeuvre du bédéiste espagnol Paco Roca, avec ses romans graphiques qui flirtent avec les thèmes de société, et celle de Juan Canales connu par sa série de BD policière et animalière, Blacksad.

— La section Artist@work a révélé admirablement les coulisses de l’industrie de l’art de la BD. Comment l’avoir réalisée ?
— On a organisé des ateliers quotidiens intensifs, d’une heure et demie chacun, qui se déroulaient en interaction avec les amateurs et les bédéistes professionnels. Y ont participé par exemple l’artiste égyptien Mohamad Salah, connu pour ses BD de science-fiction, et le Tunisien Seifeddine Nechi, ayant reçu le prix de la « meilleure publication digitale » au Cairo Comix 2. Par ailleurs, comme le côté rédactionnel est très important dans la BD, on a invité cette année l’auteur américain Josh O’Neill et les représentants de la maison d’édition Locust Moon, connue comme étant le porte-drapeau de l’école alterna­tive de la BD américaine. On a invité Golo, qui a vécu longtemps en Egypte et qui en parle souvent dans ses BD. L’Institut français du Caire nous a été un grand soutien dès la première édition de Cairo Comix.

Le nombre de candidats qui se sont présentés au festi­val, âgés de moins de 25 ans, a dépassé les éditions précé­dentes. Même le nombre des bédéistes participants a augmenté, d’une vingtaine d’artistes, à environ 80.

— En 2008, votre album de BD Métro a été confis­qué, car traitant de la corruption, la pauvreté et l’in­justice. Désormais, vous publiez vos BD en dehors du pays. Est-ce pour contourner la censure ou à cause de l’absence d’un véritable marché ?
— Mes récents albums de comics penchent pour la comédie noire, toujours en quête du sens de l’existence. Je les publie à l’étranger, dans des revues internationales indépendantes comme Zénith (en Allemagne). Je n’ai pas les moyens d’autofi­nancer mes publications. Dans le temps, je publiais dans des titres égyptiens comme Alaeddine et Al-Dostour, d’où une cer­taine popularité de mes BD. Maintenant, nous sommes privés de cette option.

Sur le marché international de la BD, les comics noirs et le sarcasme sanguin ont le vent en poupe. La BD en langue arabe opte surtout pour un sarcasme poussé, né du social et de l’hu­main, oscillant entre personnage marginalisé et super-héros. Au Liban, c’est surtout la BD plus expérimentale qui est à la mode. En Algérie comme en France, c’est la BD littéraire au contenu sarcastique, intelligemment fait. Aux Etats-Unis, c’est plutôt la BD de fiction et d’action .

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