LA revue tinisienne LAB 619.
Il est vrai que ces dernières années plus d’intérêt est accordé dans les pays arabes à la bande dessinée à travers plusieurs rencontres et festivals, mais l’heure est encore au marasme. Il y a notamment le Festival international de la BD d’Alger (FIDBA) qui fête cette année sa 9e édition du 4 au 8 octobre, l’Exposition du Moyen-Orient pour la BD et les films animés qui a tenu sa troisième assise en avril 2016 à Dubaï ou encore Cairo Comix qui s’est tenu pour la première fois en 2015, et qui a ouvert ses portes cette année encore aux bédéistes et au public du 30 septembre au 2 octobre. Il y a donc des vagues d’initiatives dans la sphère de la BD arabe, mais les bédéistes arabes dont la grande majorité est jeune pataugent encore dans de multiples problèmes. Il est clair que toutes ces rencontres ont permis des échanges entre ces créateurs, et ont brisé l’isolation des uns et des autres, néanmoins, les noeuds majeurs qui entravent l’épanouissement persistent. Il y a d’abord le sempiternel problème de la censure, bien sûr, mais au-delà de cela, la BD souffre du manque de financement et de problèmes d’édition. « Les éditeurs ne veulent pas prendre de risque », fait remarquer le dessinateur Migo lors du Forum de la BD arabe coproduction de Cairo Comix et de l’Institut français d’Egypte qui s’est tenu du 29 septembre au 1er octobre à l'institut Goethe. Les éditeurs sont effectivement frileux devant un art qui peine à s’affirmer comme un art à part entière. « La culture de la bande dessinée pour adultes n’existe pas », signale Raëd Mattar, bédéiste iraqien. A cela, le directeur de la maison d’édition Al-Araby, qui a pris à son compte la publication en 2014 d’une traduction en arabe de la bande dessinée Gabo sur la vie de Gabriel Garcia Marquez parue en 2013 en Colombie chez Rey Naranjo Editores, rétorque : « Je soutiens les bédéistes mais je dois dire qu’ils ne sont pas très flexibles sur, par exemple, des questions de papier ou de dimensions. Les deux parties, artistes et maisons d’édition, doivent trouver des compromis parce qu’en tant qu’éditeurs nous sommes aussi tenus par des conditions de marché et de coûts. Par exemple, la distribution est un gros problème. On ne sait pas comment arriver au lecteur. Les réseaux de distribution sont quasi inexistants et nous devons compter sur nous-mêmes ».
En fait, pour résumer la situation dans le monde de la BD arabe, chacun rame sur sa barque et tente de ne pas se noyer, mais positivons quand même. Les bédéistes ont pu créer ces dernières années plusieurs revues qui permettent une meilleure visibilité. En Iraq, les bédéistes ont lancé la revue Al-Messaha. « Nous avons compté sur nos propres moyens pour financer le projet », relève Raëd Mattar. En Tunisie, la revue de bande dessinée LAB 619 est fondée en 2012. « Nous nous autofinançons et nous sommes à la recherche de sponsors », dit le bédéiste tunisien Ziad Mejri.
C’est au Liban que nous trouverons le projet le plus abouti. Un collectif d’artistes a fondé en 2007 la revue Samandal (Salamander en arabe) qui rassemble des bandes dessinées en français, en arabe et en anglais. Bien que le projet ait connu quelques déboires en 2009, lorsque trois dessinateurs ont été accusés par le Parquet général d’incitation à la haine religieuse, de blasphème et de diffamation à cause de la publication d’une bande dessinée jugée tendancieuse, cela n’a pas empêché le projet de continuer son parcours.
« D’une revue de bande dessinée nous avons évolué vers une maison d’édition. Cela prend du temps mais les choses s’améliorent. Au final, nous avons opté pour l’impression en France. Si nous imprimons 1 000 exemplaires nous laissons 700 en France et nous transférons 300 au Liban. Cela nous permet une meilleure visibilité lors des rencontres de BD internationales », explique Raphaëlle Macaron, cofondatrice de la revue et participante au Forum de la BD arabe.
Pour les autres bédéistes, la meilleure plateforme pour diffuser leur BD c’est Facebook. « J’ai commencé à me faire connaître sur Facebook. J’ai senti que les gens sont réceptifs. Et puisqu’en Jordanie il n’y a pas encore de revue de BD, Facebook est pour moi une fenêtre de choix », confie le Jordanien Mohammed Al-Muti, lors de ce forum de la BD arabe. « Facebook en lui-même est un genre de bande dessinée. C’est pour cela qu’il se prête bien à la diffusion de nos oeuvres », remarque l’Iraqien Raëd Mattar.
Face à ce constat, il est peut-être temps pour les sponsors et les organisateurs de ce genre de rencontres autour de la bande dessinée dans le monde arabe de commencer à réfléchir autrement à la manière d’octroyer un soutien à cet art. S’il est nécessaire de dépenser un budget consacré au développement culturel, il serait peut-être plus judicieux, après les rencontres et le rabâchage des obstacles, à l’épanouissement du 9e art dans ce monde arabe, de passer à la vitesse supérieure. A savoir, proposer des solutions et mettre en oeuvre les moyens pour les mettre en vigueur, à savoir octroyer des aides à l’édition, trouver des solutions créatives aux problèmes de distribution, mettre en place des programmes continus de formation, voire, pourquoi pas aider à fonder des écoles de formation ou encore soutenir les revues de bandes dessinées en manque de financement .
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