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Sur les traces de Shakespeare

May Sélim, Lundi, 25 avril 2016

L'Egypte fête le quatrième centenaire de la mort de Shakespeare, avec des activités de tous genres, au Caire comme à Alexandrie. L'influence du dramaturge anglais et son impact sur le théâtre local sont indélébiles.

Sur les traces de Shakespeare
Je suis Hamlet. (Photo:Bassam Al-Zoghby)

Le quatrième centenaire de la mort de Shakespeare est célébré un peu partout de par le monde. Et en Egypte, le poète anglais du XVIIe siècle est toujours très présent sur les planches égyptiennes. Il défie encore les créateurs et incite les comédiens à incarner ses personnages les plus difficiles. Il suffit de passer en revue les pièces données par les théâtres de l’Etat : universitaire, indépendant, provinciaux, etc. tout au long de l’année, pour se rendre compte que ses adaptations font monnaie courante. Durant la saison 2015-2016, des troupes égyptiennes ont présenté Hamlet, Macbeth, Songe d’une nuit d’été, Le Roi Lear ...

D’ailleurs, aux yeux de plusieurs critiques de théâtre, les sujets des pièces shakespeariennes ont un cachet universel, les plaçant en dehors des cadres spatio-temporels. Elles touchent l’Homme à tout moment. « Shakespeare est le poète de l’humanisme », déclare Mohamad Anani, professeur de lettres anglaises et traducteur de plusieurs pièces shakespeariennes, lors d’un colloque tenu par le Conseil suprême de la culture, en hommage au dramaturge britannique. Anani a traduit depuis 1964 jusqu’à présent 25 textes dramatiques sur les 37 oeuvres de Shakespeare. Pour évoquer l’influence de ce dernier sur le théâtre égyptien, il remonte au début du XXe siècle. « Pour commémorer 300 ans depuis la mort de Shakespeare, l’Angleterre avait invité le poète égyptien Hafez Ibrahim. Celui-ci s’est rendu à Stratford, ville natale de Shakespeare, et lui a même dédié un poème qu’il a écrit spécialement pour l’occasion. A l’époque, l’Egypte était encore sous mandat britannique. Tout le monde a dû critiquer Hafez Ibrahim pour avoir participé à une manifestation organisée par l’occupant. Alors, Ibrahim s’est défendu en disant : Shakespeare est le poète de l’humanisme », raconte Anani.

Dans son ouvrage Shakespeare Fi Misr (Shakespeare en Egypte), paru en 1985, l’historien et critique Ramsès Awad estime que le théâtre égyptien entre 1915 et 1930 a connu des spectacles burlesques, souvent dénoncés pour leur contenu trop léger. Pour remédier à ce problème, selon l’auteur, le ministère de l'Education nationale a voulu fonder l’Institut des arts dramatiques, dans le but de former des comédiens et des hommes de théâtre d’un certain calibre. Dans cet esprit a été formé un comité de sélection chargé de creuser dans les textes universels, afin de choisir des oeuvres à même d’être présentées sur les planches de théâtre. Ce comité regroupait des intellectuels tels, entre autres, Ahmad Chawqi, Khalil Motrane, Georges Abyad et Zaki Tolaymat. Les premiers textes choisis furent ceux de Shakespeare. Depuis, son influence fut grande. « Mohamad Effat est connu comme étant le premier traducteur de Macbeth vers l’arabe, en 1900. Motrane, devenu ensuite directeur du Théâtre national égyptien, a lui aussi traduit Shakespeare à partir du français. Leurs textes étaient en arabe littéraire très poétique », ajoute Anani.

Le succès de ces traductions a encouragé des poètes confirmés tels Ahmad Chawqi et Salah Abdel-Sabour à suivre le modèle shakespearien dans l’écriture dramatique. « Dans les oeuvres de Chawqi, on retrouve parfois des extraits des dialogues shakespeariens. Le professeur de littérature Ahmad Etman a même prouvé que Chawqi a écrit Antonio et Cléopâtre, pour répondre à la version shakespearienne, en prenant la défense de la reine égyptienne. De même, Salah Abdel-Sabour, dans son texte poétique Le Voyageur de nuit, emprunte une partie du dialogue de la pièce shakespearienne La tempête », précise Nehad Séleiha, critique et professeur à l’Académie des arts.

Du Shakespeare expérimental
Dans les années 1960, le théâtre égyptien était en effervescence, soutenu par le ministère de la Culture, les adaptations shakespeariennes foisonnaient au Caire comme en province. Mais un peu plus tard, ce genre de théâtre sérieux a perdu de son éclat, en faveur d’un théâtre privé, assez commercial. « Dans les années 1980, on retient sans doute la pièce Les Joyeuses Commères de Windsor montée par Mahmoud Al-Alfi sur les planches du théâtre de l’Etat. cette pièce a été présentée dans un contexte mamelouk », fait remarquer Séleiha. Puis, avec l’émergence du théâtre indépendant, plusieurs jeunes troupes ont offert de nouvelles créations expérimentales, basées sur Shakespeare.

Avec l’avènement du nouveau millénaire, Shakespeare revient donc à la mode. On assiste à une résurrection des théâtres de l’Etat, avec notamment le retour du Roi Lear, interprété par Yéhia Al-Fakharani, dans une mise en scène d’Ahmad Abdel-Halim. Ce texte classique, en langue soutenue, a été une réussite pendant 3 ans d’affilée. Le nom d’une star comme Yéhia Al-Fakharani en tête d’affiche a attiré de nouveau les spectateurs vers le Théâtre national. Le metteur en scène Ahmad Abdel-Halim a également eu recours à d’autres astuces afin de rendre le texte de 1605 plus accessible et plus proche du public. Il a choisi de mettre en exergue la dimension sociale de la pièce, à savoir le thème du déchirement familial et de l’ingratitude des enfants. De même, il s’est servi de la poésie dialectale d’Ahmad Fouad Negm pour rythmer la pièce. « Le jeune Sameh Bassiouni a monté avec brio lui aussi Jules César. Malgré sa mise en scène classique, son spectacle a connu aussi un véritable succès », se rappelle Séleiha. Bassiouni a misé davantage sur le jeu habile des comédiens et sur une chorégraphie originale de Atef Awad.

Mises en scène bouleversantes
D’autres créateurs ont osé aller plus loin encore. Ils ont bouleversé les traits classiques ou tragiques de l’oeuvre shakespearienne. Et ont opté parfois pour le comique, voire le burlesque. « Cette nouvelle tendance a été surtout initiée par le metteur en scène Khaled Galal, qui avait déjà monté plusieurs pièces du dramaturge anglais. Galal, dans sa mise en scène intitulée Shakespeare 1 et 2, a parodié les pièces classiques : Roméo et Juliette, Othello, Hamlet et Macbeth », indique Séleiha.

Galal a donc revisité Shakespeare en allégeant la tension et la noirceur des pièces, en se prêtant au rire, au déguisement, à l’improvisation. Trois promotions successives du Studio Ibdaa (créativité), géré par Khaled Galal, devaient suivre le test de montrer Shakespeare différemment, en reprenant Le Roi Lear, Hamlet et Macbeth. « Parfois la parodie ou l’adaptation tout court peuvent révéler le plus le talent d’un metteur en scène. Par exemple Mac et Ly de Marwa Radwan a proposé une version comique et féministe de l’oeuvre originale. L’essentiel est de ne pas tomber dans le piège du rire tout court », estime Séleiha.

La pièce Ana Hamlet (je suis Hamlet) de Hani Afifi a été reprise la semaine dernière dans le cadre de l’hommage à Shakespeare. Le metteur en scène a rapproché le héros du jeune citoyen égyptien qui prend le métro tous les jours pour aller à son travail. Les personnages du dramaturge mythique finissent par ressembler à tout le monde, dans les adaptations contemporaines, brisant les tabous.

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