Al-Ahram Hebdo : Tout d’abord, quels sont les aspects de la coopération culturelle entre l’Egypte et l’Institut du Monde Arabe (IMA) ?
Jack Lang : L’IMA voue une confiance particulière aux pays arabes, surtout l’Egypte, et leur consacre une grande part de ses activités qui vont toujours de pair avec les occasions historiques et culturelles. Récemment, l’institut a organisé plusieurs expositions égyptiennes. Certaines portaient sur l’histoire pharaonique. Une exposition a porté sur Abouqir et la flotte française qui se trouvait dans cette ville pendant l’Expédition française sur l’Egypte en 1799. Nous avons également organisé une exposition relatant l’histoire du Canal de Suez et une autre sur la ville d’Ismaïliya est en préparation. Une autre exposition portait sur la diva Oum Kalsoum et a réuni un grand nombre d’artistes égyptiens. D’ailleurs, cette exposition fait le tour du monde et se trouve actuellement à Amsterdam. Une autre expo sur les chrétiens d’Orient verra le jour prochainement et l’Egypte y apportera sa contribution. L’Egypte est connue pour avoir accueilli les chrétiens depuis l’aube de l’histoire. D’autres événements égyptiens liés à la musique, au cinéma et aux arts sont organisés parallèlement. Nous sommes également désireux à l’IMA de recevoir des écrivains, des penseurs et des artistes, ainsi que d’autres symboles de la culture égyptienne.
— Comment évaluez-vous les relations culturelles entre Le Caire et Paris ?
— Je pense que quelles que soient les circonstances qui font que les relations entre les deux pays se développent ou non, il y a une vérité claire, qui est la passion française pour tout ce qui est égyptien. Cette passion s’est clairement manifestée durant l’exposition sur Ramsès II. Je pense que le peuple égyptien ressent un amour semblable à la France avec laquelle les relations culturelles remontent à plus de 200 ans, c’est-à-dire depuis que Champollion a déchiffré la pierre de Rosette. L’égyptologie et l’histoire de l’Egypte sont enseignées dans les écoles et les universités françaises. Il existe actuellement en Egypte une université française. La coopération culturelle est fructueuse pour les deux parties.
— Que pensez-vous de la question des antiquités égyptiennes qui ont fait l’objet de contrebande et des efforts du Caire pour les récupérer ?
— Bien entendu, je suis contre le vol des antiquités de n’importe quel pays, surtout les antiquités égyptiennes qui relatent l’histoire d’une civilisation unique. Elles doivent être restituées à l’Egypte. Idem pour toutes antiquités volées à d’autres pays. J’exclus ici les antiquités qui font l’objet d’un échange entre les gouvernements. En général, la tendance actuelle en France sous le président Macron est de restituer les antiquités ayant fait l’objet de contrebande, comme cela s’est produit avec l’Egypte auparavant.
— Comment l’IMA a-t-il contribué à la consolidation des relations entre les pays arabes et la France ?
— Depuis sa création en 1987, l’IMA a eu plusieurs présidents français. Leur mission essentielle était de développer et de raffermir les relations culturelles entre la France et le monde arabe. Ils ont réussi à diffuser la culture arabe en France et ceci a permis de renforcer les relations culturelles. Dans ce contexte, l’IMA organise des rencontres périodiques afin de rendre hommage aux philosophes, écrivains et intellectuels arabes et musulmans. C’est une manière de faire la connaissance de leurs livres et de leurs productions éclairées. Le rôle de l’institut s’est plus tard répercuté sur les autres domaines de coopération entre Paris et les capitales arabes.
— Pourquoi l’exposition sur les juifs d’Orient s’est-elle attirée autant de critiques médiatiques ?
— L’IMA se considère comme un pont culturel encourageant le dialogue, la coopération et la solidarité entre l’Occident et l’Orient. D’un point de vue historique, les Arabes ont joué un rôle important dans l’évolution des sciences, de la philosophie, de la traduction, des lettres et de la culture. Raison pour laquelle l’institut est ouvert à toutes les cultures. Les juifs d’Orient ont vécu en Egypte à de nombreuses époques et ont contribué à former cette réalité. Ainsi, il fallait jeter la lumière sur cette problématique et l’exposition a recueilli l’approbation d’un grand nombre d’intellectuels qui prônaient l’acceptation de l’autre.
— Ne trouvez-vous pas que le non règlement de la question palestinienne s’est reflété sur l’attitude adoptée à l’égard de cette exposition ?
— L’IMA n’a jamais oublié la question palestinienne et il est considéré comme l’unique institution qui lui accorde un grand intérêt. Nous avons organisé une exposition qui a duré 6 mois sous le titre « Ce que la Palestine présente au monde » au cours de laquelle nous avons célébré la culture, l’histoire et la cause palestiniennes. Nous avons jeté la lumière sur les souffrances à Gaza. Nous avons invité des personnalités artistiques et culturelles de la Palestine et l’exposition a eu un grand succès.
— Certains pays arabes ont été sujets à des destructions et leurs patrimoines ont été pillés dans le contexte du Printemps arabe. Comment l’IMA réagit-il à cette situation ?
— Bien sûr, il y a eu un sabotage intensif des capacités culturelles, patrimoniales et humanitaires rares dans certains pays arabes qui ont connu des révolutions comme la Tunisie, le Yémen, la Syrie, la Libye et l’Egypte. Je ne présidais pas l’institut à cette époque, mais un an plus tard, lorsque je suis devenu président de l’IMA, j’ai créé un fonds international et j’ai lancé une initiative pour soutenir les pays arabes qui ont souffert et qui continuent à souffrir de la guerre. Dans ce contexte, nous avons organisé des expositions sur certaines villes arabes telles que Palmyre, Alep et Mossoul pour montrer aux visiteurs comment elles étaient et sont devenues pendant la guerre et comment elles deviendront plus tard après les travaux de restauration grâce aux efforts locaux et internationaux concertés.
— Pourquoi la diffusion de la langue arabe est-elle faible en France ?
— Personnellement, j’ai défendu la présence de la langue arabe dans les programmes scolaires français quand j’étais ministre de l’Education et je l’ai défendue dans un livre que j’ai publié en 2020 sous le titre La langue arabe ... un trésor pour la France.
Le problème en France ne réside pas seulement dans la langue arabe, mais aussi dans les autres langues étrangères comme l’allemand, l’italien et l’espagnol qui sont devenues marginales. L’arabe est aujourd’hui enseigné dans de nombreux instituts et écoles français, mais le problème est la continuité. Depuis que j’assume la présidence de l’institut, j’ai introduit un certificat pour apprendre l’arabe qui est internationalement reconnu. Nous avons célébré ce mois-ci la remise des diplômes d’un millier de diplômés.
— Quel est le rôle de l’IMA dans la lutte contre le phénomène de l’islamophobie dans la société française ?
— Le rôle principal dans la lutte contre le racisme revient aux gouvernements et non pas à l’IMA uniquement. Nous essayons de faciliter les rencontres et le dialogue. Nous avons organisé une exposition sur le pèlerinage, une autre sur les juifs d’Orient et une troisième sur l’impact des trois grandes religions monothéistes sur la région arabe. Il existe effectivement une minorité raciste dans la société française, comme dans n’importe quelle autre société, qui essaye de déformer l’image des immigrés arabes et musulmans. Mais, la plupart des Français soutiennent les valeurs de tolérance, de solidarité et d’acceptation de l’autre. Ils encouragent l’intégration des immigrés au sein de la société française.
— Avec le début de votre 4e mandat, quelles sont vos priorités ?
— Je cherche à imprimer les grandes publications arabes en français, en particulier sur la philosophie arabe et la pensée arabe, et nous prévoyons d’organiser une conférence à ce sujet. Nous avons l’intention d’ouvrir de nouvelles branches de l’IMA, à New York comme en Arabie saoudite. Mais, l’IMA à Paris sera pour toujours la plus importante institution de la culture arabe au monde.
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