(Photo : Yasser Al-Ghoul)
Al-Ahram Hebdo : En 2022, les échanges commerciaux entre l’Egypte et la France ont atteint un chiffre record. S’agit-il d’une tendance ou des circonstances spéciales ?
Michel Oldenburg : Effectivement, l’année dernière, les échanges bilatéraux étaient les meilleurs qu’on a eus dans une décennie, mais c’est vrai que c’était exceptionnel. Ils étaient surtout liés aux conséquences de la guerre en Ukraine, puisque l’Egypte a exporté du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) à la France avec plus de 800 millions d’euros, en plus de 600 millions d’euros d’engrais, et la France, parallèlement, a livré 1,2 million de tonnes de blé, ce qui a augmenté par 500 millions d’euros les exportations françaises vers l’Egypte. Les échanges croisés se sont ainsi élevés à 4,4 milliards d’euros, selon nos statistiques. Pour 2023, les dernières statistiques ont montré que les exportations françaises sont en hausse pour les quatre premiers mois de l’année de 36 % et que les exportations égyptiennes sont en baisse de 50 % et c’est lié au GNL. C’est peut-être lié au fait que l’Egypte vend son gaz sur les marchés spot et n’a pas de contrats à long terme avec les Français, et le prix du GNL sur les marchés mondiaux a beaucoup baissé, et du coup pour les mêmes volumes exportés, on ne facture plus le même prix.
— La guerre en Ukraine va-t-elle continuer à peser sur les économies des différents pays, comme l’Egypte, ou ces pays parviendront-ils à s’y adapter ?
— De façon générale, la guerre va continuer à peser, puisque c’est une source d’instabilité, alors que les investisseurs veulent une situation prévisible pour qu’ils puissent avoir un scénario clair sur un certain nombre d’années, afin de se rassurer que leurs investissements soient rentables. Avec l’incertitude, les investisseurs réfléchissent plusieurs fois avant de prendre une décision. Et c’est là que je crois que l’Egypte peut jouer un rôle très intéressant, car la guerre en Ukraine permet également de redistribuer les cartes des chaînes de valeur. Cette guerre a montré aux investisseurs européens qu’il est intéressant d’être relativement proches des marchés où se trouvent les consommateurs. Nous avons d’ailleurs un certain nombre d’entreprises françaises qui relocalisent leur production : avant, elles fabriquaient en Asie, notamment en Chine, mais maintenant, vu les problèmes d’approvisionnement qu’on a eus durant la période post-invasion russe de l’Ukraine, elles considèrent avoir des unités de production qui soient plus proches des marchés européens. Et c’est là où l’Egypte a un rôle très important à jouer.
— Comment la situation économique en Egypte, en ce qui concerne le manque de devises, le marché parallèle de change et le contrôle des capitaux, affecte-t-elle les investisseurs français présents dans le pays ?
— Les entreprises françaises sont évidemment affectées par la situation actuelle et le manque de devises. Certaines ont des stratégies de s’en sortir bien parce qu’elles sont à la fois importatrices et exportatrices, et du coup, elles utilisent les exportations pour financer les importations. Mais c’est plus compliqué pour celles qui n’exportent pas. Alors, elles essayent d’être créatives : certaines essayent de faire des acquisitions, voir ce qui peut être acheté sur le marché égyptien, sachant qu’avec la dépréciation de la livre égyptienne, la valeur des actifs égyptiens est plutôt intéressante. Elles ne sont pas contentes de la situation parce que cela met en difficulté leurs activités au quotidien. Mais beaucoup d’entreprises françaises opérantes en Egypte y sont arrivées il y a très longtemps. Sanofi, à titre d’exemple, vient de fêter son 60e anniversaire. Elles sont habituées à ce phénomène de cycle, surtout les plus anciennes. Elles ont une certaine résilience et la plupart font partie de grands groupes et savent quels sont leurs intérêts sur le moyen terme sur un marché important comme l’Egypte, et donc elles font le dos rond et attendent que la situation s’améliore. Mais il n’y a aucune, en tout cas de notre connaissance, qui soit sur le départ ou qui ait même évoqué le fait de partir. Bien au contraire, elles sont là pour consolider leur position. On a même eu de nouvelles entreprises qui sont arrivées l’an dernier comme Capgemini, Safran et STMicroelectronics. Saint-Gobain vient d’acheter récemment une nouvelle entité dans le secteur cimentier en Egypte. C’est compliqué pour toutes les entreprises, pas seulement les françaises, de ne pas avoir accès aux devises sur le marché égyptien, mais c’est dans une logique vraiment de moyen terme.
— Comment la suspension de l’accord entre l’Egypte et le FMI affecte-t-elle la vision des investisseurs ?
— L’élan est un petit peu retombé. Lorsque l’accord a été trouvé, ils ont senti sur les marchés interbancaires que la confiance était retrouvée. Elle a diminué au fil du temps parce que les marchés attendaient des résultats plus rapides en matière d’offres d’entreprises publiques. Lorsque cela ne s’est pas matérialisé pour un certain nombre de raisons, qui sont évidentes : on ne vend pas d’actifs publics comme on vend un hamburger ou un pot de confiture, la confiance a diminué. C’est tout un procès, une documentation à établir, le jeu des acteurs : vous avez un vendeur qui veut vendre à un tarif intéressant et un acheteur qui veut acheter au meilleur tarif possible. Forcément, cela n’allait pas se faire dans les trois mois sauf que les marchés ont été impatients et qu’ils ont dit que le mois de mars est là sans que rien soit vendu, et à se demander si le gouvernement égyptien est crédible dans la mise en oeuvre de ce plan du FMI. Je pense, qu’il l’est : les entretiens qu’on a avec les autorités locales nous font penser qu’ils travaillent clairement le sujet. C’est un processus vraiment compliqué. Il faut prendre son temps et faire ça bien. Je reste raisonnablement optimiste que la situation va graduellement s’améliorer.
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