L’artiste pionnier alexandrin Abdelhadi El Gazzar (1925-1966) est une figure de proue de l’art égyptien moderne du XXe siècle. Ce catalogue raisonné en langue anglaise, conçu et rédigé par la Française Valérie Didier Hess et l’Egyptien Hussam Rashwan est incontestablement le deuxième du genre au Moyen-Orient. Et ce, après le premier du grand Mahmoud Saïd, publié en 2017. Il s’agit de l’inventaire le plus complet possible qui regroupe les oeuvres d’El Gazzar et qui a coûté 140 000 dollars. Ensemble, Didier et Rashwan se sont mis à la recherche des tableaux signés Abdelhadi El Gazzar depuis juillet 2017. Ils rassemblent tous les détails et les documentent selon des méthodes scientifiques.
« Les archives exemplaires et méticuleusement conservées par la famille El Gazzar, avec à sa tête son épouse Laila Effat, nous ont beaucoup servi dans notre documentation. Dans ces archives, nous avons retrouvé un grand nombre d’articles écrits sur El Gazzar par ses confrères du groupe de l’Art contemporain, dont Hamed Nada et Ibrahim Masseouda … Toutes les informations étaient utiles à ajouter : contexte historique, biographie, cartographie, sources documentaires, ses peintures connues et non connues mentionnées dans les registres de l’artiste, ses mélanges de notes et pensées écrites sur de petits bouts de papier ... », énumère Hussam Rashwan.
Compilation méthodique, descriptive et critique de l’oeuvre d’El Gazzar, le catalogue se compose de 830 pages en couleur. Divisé en deux tomes, il suit une organisation thématique et un ordre chronologique rigoureux. Le premier tome, de 400 pages, comprend 120 peintures avec des études critiques inédites.
Ce tome I est précédé d’une introduction présentée par Yasser Omar Amin, spécialiste en droits d’auteur. L’introduction est suivie d’une étude intitulée L’esprit du coquillage et du carnaval, entre le psychique et le symbolique, en 140 pages, signée par l’ancien ministre de la Culture Chaker Abdel-Hamid. El Gazzar, dont l’icône favorite est le coquillage, était un des premiers artistes à rejoindre le groupe de l’Art contemporain fondé en 1944 par l’artiste Hussein Youssef Amin. Ce groupe a développé une identité qui lui est propre, dégageant un caractère national et favorisant le concept d’un art typiquement égyptien, moins influencé par le courant surréaliste occidental. Ses artistes s’inspiraient de la tradition, de la philosophie populaire, de la superstition, de l’ambiance rurale et d’autres aspects folkloriques, symboliques et mythiques mêlant le réel à l’imaginaire.
Réalisme et symbolisme
Le tome I renferme également des études très approfondies de la critique d’art, artiste plasticienne et pédagogue Amal Nasr, sous le titre Démarches magiques dans des lieux misérables. « Mes études abordent l’art d’El Gazzar comme une scénographie théâtrale. L’artiste crée son propre paradis, faisant ainsi face à toute dépression et crise existentielle. Chez El Gazzar, l’académique, côté réalisme, est associé à la liberté d’expression, représentée dans la déformation des visages qui vivent dans la joie des couleurs, des émotions, des tourments, des éléments magiques, sans respecter les normes de la perspective et des lignes, de l’espace et du temps, ce qui est clair dans ses peintures signées en 1948 comme Adam et Eve et Chorus populaire. Ses peintures ressentent la douleur des gens simples, les habitants du Caire, avec un style expressionniste innovant et unique qui décrit leurs mythes et leurs rêves. Chez El Gazzar, la femme est peinte aux traits épais, sauvages et libres. C’est son instinct de survie qui lui donne la force d’abandonner ce qui l’anéantit », explique Amal Nasr.
Le catalogue nous fait également voyager vers El Gazzar, le passionné de lectures, au sujet du patrimoine égyptien, d’après une étude du critique d’art Moustapha Eissa, de 50 pages, intitulée En présence du réalisme et du symbolisme. Autres études du tome I : celle de Samir Gharib, intitulée Entre deux groupes : Art contemporain et Art et Liberté. Et ce, sans oublier les recherches fournies par Valérie Didier Hess sur El-Gazzar, sous le titre De l’abstraction au monde de l’espace. Le tome I inclut également les entrevues de Didier Hess avec l’épouse d’El Gazzar, Laila Effat, au Caire, et avec l’artiste plasticien Ahmed Morsi, qui a contribué avec El-Gazzar à deux oeuvres d’art, à New York. « El Gazzar est une matière fertile pour de nombreux titulaires en magistère et en doctorat. Plus de 16 thèses ont été soutenues de 1945 à 1953 sur ses travaux », affirme Rashwan.
Chorus populaire.
Le tome II du catalogue compte 430 pages comportant des dessins à l’encre sur papier, des arts graphiques, des archives de photos, des sketches, des documents et des couvertures de magazines créées par El Gazzar pendant son séjour en Italie en tant que boursier à Rome. En plus, il y a des articles critiques écrits par Badreddine Abou-Ghazi, Ezzedine Naguib, Naïm Atteya, Sabri Mansour, Nabil Farag, Alain Roussillon, Aimé Azar et Hussein Youssef Amin (sous le titre El Gazzar, l’artiste de la révolution), Hussein Bicar (Le fou vert), Fouad Kamel (Vers l’inconnu).
D’ailleurs, le catalogue raisonné documente, en photos couleurs, toutes les oeuvres d’El Gazzar vendues, leur nombre et leurs prix depuis 2005. « Le travail photographique pour ce catalogue a commencé en Egypte en 2018, tout d’abord chez la famille El Gazzar, puis chez les collectionneurs et les musées : le Musée Mahmoud Saïd, à Alexandrie, le Musée d’art moderne à l’Opéra du Caire et aux Musées des beaux-arts d’Alexandrie et du Caire », affirme Emad Abdel-Hady, photographe de ce catalogue raisonné, en collaboration avec ses confrères Ayman Lotfy et Hicham Salama.
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