L’Egypte a-t-elle besoin de construire de nouvelles villes ou plutôt de développer la croissance urbaine de celles qui existent déjà ? Telle était la question principale de la table ronde intitulée « Les nouvelles villes en débat: entre planification et réalités urbaines », organisée lors de la première journée de la semaine franco-égyptienne sur les enjeux de la gouvernance urbaine. Les interlocuteurs, qui ne sont autres que des spécialistes urbanistes de la France et de l’Egypte, ont assuré que malgré l’échec de la gestion des nouvelles villes et celle de l’étalement urbain de la vallée du Nil, l’Egypte a besoin de réviser urgemment la relation entre la construction de nouvelles villes et la croissance urbaine des villes déjà existantes.
Les participants ont visionné une vidéo sur le projet récent de l’Egypte visant à construire une nouvelle capitale administrative. Une capitale qui possède des systèmes informatiques développés, des quartiers pour les ministères et des projets immobiliers capables de loger 6 millions d’individus environ.
La construction de nouvelles villes en Egypte a commencé à la fin des années 1960 et durant la décennie des années 1970, dans le but de créer de nouvelles communautés. On peut citer des exemples comme la cité Sadate, 10 du Ramadan, Al-Chorouq et bien d’autres. « La grande majorité de ces nouvelles cités n’ont pas été bien planifiées pour attirer la population comme il était prévu. On peut citer l’exemple de la ville du 10 du Ramadan, dans le gouvernorat de Charqiya, à 46 kilomètres du Caire, considéré comme une ville industrielle. Il était prévu qu’elle attire les investissements et les jeunes pour diminuer la surpopulation des villes de la vallée, ce qui n’a pas été réalisé à cause du manque de services, notamment le transport. L’échec dans la gestion urbaine doit être étudié, pour éviter les mêmes erreurs en construisant d’autres nouvelles villes », souligne Sahar Attiya, professeur d’architecture et d’urbanisme à la faculté de polytechniques à l’Université du Caire, qui fait partie du groupe du projet de la nouvelle ville de Alamein, au nord de l’Egypte. Elle insiste sur le fait que le planificateur en Egypte doit avoir les talents du négociateur pour pouvoir parler avec les responsables des différents appareils et aboutir à ses objectifs.
Pour Eric Huybrechts, architecte et urbaniste français qui a eu une expérience de plus de dix ans au Caire, en travaillant dans le cadre d’un projet égypto-français pour panifier le Grand Caire, il n’est pas possible d’appliquer le modèle de la croissance urbaine de la ville de Paris en Egypte à cause des différents systèmes administratifs dans les deux pays et la difficulté de réaliser l’équilibre (population-emplois). « Je pense que le plus important pour construire de nouvelles villes, c’est d’avoir des penseurs et non seulement des planificateurs. Pour réaliser la croissance urbaine de Paris, nous avons plus de 200 penseurs pour établir les stratégies urbaines. On a vraiment besoin de têtes qui pensent en premier lieu ».
La décentralisation indispensable
Yéhia Chawkat, chercheur urbaniste spécialisé dans la cartographie et cofondateur du studio de la recherche 10 Tooba, pense, lui, que la politique du pays visant à libérer le marché immobilier approfondit l’injustice du développement sur le plan sanitaire, du logement et des services. « Si nous voulons changer cette réalité, il faut absolument instaurer une décentralisation politique, financière et administrative, et surtout annuler la libéralisation du marché foncier. Il est inévitable de liquider l’Organisme des communautés urbaines, en distribuant ses appareils et prérogatives à d’autres institutions dans les gouvernorats. Et ce, afin d’éviter de construire des logements vides sans habitants ».
Pour Magd Zahran, spécialiste de l’urbanisme à Onu-Habitat Egypt, il existe un manque de communication entre les habitants et les appareils de l’Etat, ce qui mène à la construction aléatoire. Il souligne que les législations concernant la planification urbaine et la construction doivent être revues pour prendre en considération les caractéristiques de chaque zone. Il n’a pas hésité de préciser: « Si on veut vraiment changer la réalité quant à la question urbaine en Egypte, il faut absolument reconnaître que le vrai problème est le suivant : l’Etat a besoin d’argent, et pour satisfaire ce besoin, il vend des terrains. Le côté social est totalement absent dans cette affaire. Un changement des politiques de l’Etat est inévitable pour avoir un avenir meilleur pour les nouvelles générations ».
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