Al-Ahram Hebdo : Quel est votre rôle au sein du ministère de la Cohésion des territoires ?
Djamila Ioualalen-Colleu : Je suis chargée de mission au sein de la Mission Internationale pour l’Urbanisme et le Logement de la Direction des Affaires Européennes et Internationales (DAEI), une direction rattachée au ministère de la Transition écologique et solidaire et au ministère de la Cohésion des territoires. Notre Mission est en charge des actions internationales dans le domaine de la ville durable des ministères, en particulier dans les domaines de l’urbanisme, du logement, de la construction et des services urbains.
— En quoi consiste la stratégie française en matière de développement urbain durable intelligent et quelle part y prend le secteur privé ?
— La stratégie française en matière de développement urbain durable vise à aider les villes et les territoires à se développer de manière durable et à prévenir les risques liés au changement climatique, tout en assurant les services urbains adéquats aux citoyens.
A l’échelle du quartier, la France a lancé en octobre 2008 la démarche Ecoquartiers pour des solutions locales d’aménagement durable, garantes d’une nouvelle façon de concevoir, de construire et de gérer la ville. Ce label, articulé autour de quatre étapes, est bâti sur une charte de vingt engagements intégrant tant la dimension processus que le cadre de vie, le développement territorial, l’environnement et le climat. De 387 Ecoquartiers en 2017, l’objectif est de parvenir à 500 en 2018.
A l’échelle d’aires urbaines plus vastes, les Ecocités ont pour but de dynamiser la réalisation de villes durables, attractives et résilientes tant en matière de requalification urbaine qu’en projets de nouveaux quartiers. Par un accompagnement des ministères, 31 Ecocités, vecteurs de la transition écologique, ont bénéficié de cette politique transversale permettant de lancer des projets innovants sur des programmes de longue durée de 2010 à 2020.
L’Etat a lancé en 2015 la démarche des Démonstrateurs Industriels pour la Ville Durable (DIVD), dont l’enjeu est de soutenir l’innovation dans le cadre de projets urbains portés par des groupements d’entreprises en partenariat avec des territoires. Faisant appel à des technologies novatrices, ces projets s’élaborent sur un site-pilote. Parce qu’elles sont à la pointe de l’innovation, ces initiatives bénéficient d’un soutien technique, juridique et financier de l’Etat, l’objectif étant de contribuer à la transition écologique, tout en permettant le développement économique et l’attractivité des territoires. Les démonstrateurs répondent de manière innovante à des problématiques diversifiées (transition énergétique, nouveaux matériaux de construction, mobilités ...), avec une nouvelle gouvernance partenariale des projets.
Bordeaux s’est saisie de la dynamique du tramway pour engager une stratégie de rénovation urbaine globale.
Cette politique de soutien au savoir-faire français dans le domaine de la ville durable s’est concrétisée par la création du Réseau Vivapolis, une plateforme d’échanges entre les acteurs publics et privés de la ville durable, qui partagent expériences et innovations. Cette capitalisation des expériences et de l’expertise française des membres, initiée en 2012, se retrouve dans la centaine de fiches traitant de six problématiques comme l’énergie, l’économie circulaire, la mobilité, la participation citoyenne, les plateformes numériques et les services urbains intégrés. Outre les matinales thématiques mensuelles, une vingtaine de manifestations se sont déroulées à l’étranger avec le MEDEF International, Business France ou nos ambassades.
— Pourriez-vous nous parler de quelques projets de villes françaises dans le domaine, des principaux obstacles qu’elles ont pu rencontrer et des bénéfices majeurs qu’elles en ont retiré ?
— Confrontées à une pression démographique croissante conjuguée à une expansion urbaine, les villes françaises font face à des défis importants. 80 % de la population française vit dans un espace urbain, des territoires qui participent à hauteur de 70 % à la production d’émissions de gaz à effet de serre. Une ville comme Bordeaux, située dans le sud-ouest de la France, s’est ainsi saisie de la dynamique du tramway pour engager une stratégie de rénovation urbaine globale intégrant une rénovation du système de transport public : remaniement profond du réseau de bus, création de navettes fluviales, mise à disposition de vélos en libre-service. La ville s’est réappropriée le fleuve, son réel axe central et historique, pour s’engager vers la requalification des voies et des quais, l’aménagement de zones piétonnières, la connexion des deux rives via de nouveaux ponts.
Avec le système de Gestion électronique de régulation en temps réel pour l’urbanisme (GERTRUDE), la régulation du trafic donne la priorité aux transports collectifs pour améliorer le cadre de vie en ville et réduire la production de gaz à effets de serre. Egalement site d’un DIVD ciblé pour ses innovations dans le domaine de la construction de deux tours en bois de 50 mètres, la ville est aujourd’hui inscrite au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco et a quadruplé sa fréquentation touristique.
A Paris, le Plan Climat Energie s’inscrit dans une démarche de lutte contre le changement climatique. Une première étape a pour objectif la réduction de 25 % des émissions de gaz à effet de serre et des consommations d’énergie tout en visant l’objectif de disposer de 25 % d’énergies renouvelables. Différentes mesures sont mises en oeuvre : efficacité énergétique, mobilités douces, logistique urbaine, logement sobre en énergie, mise en place du système « crit’air » de vignettes pour limiter la pollution.
Inscrit dans cette dynamique de la ville durable, le projet Clichy-Batignolles, un quartier situé à Paris en position charnière entre des quartiers bourgeois et la ville périphérique de Clichy-la-Garenne, se déploie autour d’un parc urbain de 10 hectares entouré de programmes d’habitat et de bureaux, dont le nouveau Palais de justice de Paris. Mêlant une qualité architecturale innovante entre réhabilitation de bâtiments historiques et création de nouvelles architectures modernes, le site accorde une importance particulière aux espaces publics et naturels avec une conception et une gestion écologique du parc répondant à l’urgence climatique et environnementale.
— Selon vous, ces initiatives sont-elles transposables dans le contexte égyptien ?
— Les initiatives doivent s’adapter et s’intégrer au contexte local. Il est donc important d’échanger nos expériences, sans chercher à calquer un modèle pré-établi. Il faut tirer les leçons de nos échecs du passé, pour éviter de les renouveler, et de nos succès, pour inspirer des démarches similaires ou voisines, quand ces solutions paraissent adaptées aux situations propres à chaque pays et à chaque ville. Une bonne solution pour Paris ne sera pas forcément adaptable au Caire. C’est l’objectif de la coopération française, qui, à partir d’expériences menées en France, présente de bonnes pratiques, qui doivent être étudiées par les autorités des villes pour évaluer leur aptitude à répondre aux enjeux locaux, leur adaptabilité au contexte local, et surtout vérifier que ces solutions peuvent être appropriées par les villes et les citoyens.
— Est-ce que le concept des villes durables peut s’appliquer sur les villes déjà existantes ou bien vous faites le focus sur de nouvelles villes ?
— Le concept des villes durables s’applique tant sur des villes existantes que nouvelles. Il y a un enjeu fort de valorisation de notre patrimoine ancien, qui doit être rénové pour tenir compte des enjeux d’efficacité énergétique et de résilience. Et parallèlement, il nous faut développer les logements et les services d’eau, d’assainissement, de transports, pour les nouveaux urbains, dans de nouveaux quartiers. L’enjeu est de valoriser des projets urbains durables. C’est, par exemple, la démarche des Ecoquartiers qui concernent aussi bien les territoires urbains que ruraux, les quartiers sensibles, les grandes améliorations, les espaces péri-urbains et ruraux en France et en outre-mer.
— Quelle est votre vision pour décongestionner les grandes villes égyptiennes ? Et quels sont les défis des villes durables en Egypte ?
— La pression démographique et urbaine est aujourd’hui un phénomène mondial. En l’espace d’un siècle entre 1950 et 2050, la population mondiale sera passée de 1,5 milliard de personnes à près de 10 milliards d’après les projections de l’Onu. A l’heure du changement climatique et d’un phénomène d’urbanisation massive, les défis sont considérables en termes de mobilité, de transports, d’habitat, de gestion de l’eau, d’efficacité énergétique, de valorisation des déchets … Les villes françaises, comme les villes égyptiennes, doivent tirer profit d’un partage de bonnes expériences .
Lien court: