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Irène Salenson : Les politiques publiques à l’échelle de la ville qui écoutent la parole des habitants des quartiers précaires sont gagnantes

Dimanche, 19 novembre 2017

Dr Irène Salenson, chargée de recherches au sein du Département Diagnostics Économiques et Politiques Publiques rattaché à la Direction Innovations, Recherches et Savoirs de l’Agence Française de Développement (AFD) à Paris, s’exprime sur les projets et solutions que son Agence peut apporter à l’Égypte.

Irène Salenson

Al-ahram hebdo : Comment définissez-vous le concept de la ville durable ?
Irène Salenson : L’Agence Française de Développement (AFD) est en accord avec les définitions données dans l’Objectif de Développement durable numéro 11 et dans le Nouvel Agenda urbain de 2016. La ville durable est inclusive, elle n’« abandonne » personne, ce qui signifie que des efforts doivent être fournis pour intégrer les habitants défavorisés. C’est une ville productrice qui fournit des emplois et des services. Enfin, c’est une ville résiliente qui s’efforce de réduire les émissions de gaz à effet de serre, s’appuie sur une gestion des risques et améliore ses relations avec les espaces ruraux environnants.

— L’AFD s’intéresse au concept de la ville durable. Quelle est votre approche en Egypte ?
— Les projets ne sont pas élaborés par l’AFD, mais par les gouvernements nationaux, des entreprises publiques ou des collectivités locales. Ce sont eux qui définissent leurs priorités, répondant parfois à un besoin précis (construction d’une ligne de métro, éclairage public, protection du patrimoine) ou mettant en place un plan stratégique général pour une agglomération, avec des objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Le soutien de l’AFD passe par des prêts, des subventions et l’apport d’expertise technique. L’expertise de l’AFD porte notamment sur l’amélioration de la gestion des finances publiques, l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, les services urbains (déchets, transports, eau) et l’intégration des quartiers précaires.

— La densité du trafic constitue un problème majeur dans les grandes villes égyptiennes, surtout au Caire et à Alexandrie. Quelle est votre vision pour alléger ce problème ?
— Le décongestionnement de villes densément peuplées comme Le Caire ou Alexandrie vise à accélérer les flux de mobilité, à améliorer les conditions de déplacement des habitants et à augmenter l’accessibilité des quartiers isolés. L’accélération des déplacements génère des gains de productivité importants. C’est pourquoi l’AFD finance la modernisation du tramway de Raml à Alexandrie, projet qui devrait permettre de doubler le nombre de passagers et de réduire de moitié le temps de parcours de la ligne. L’amélioration des conditions de déplacement passe par la promotion de modes de transport moins polluants ; l’AFD finance ainsi la dépollution des bus publics au Caire. L’augmentation de l’accessibilité des quartiers excentrés permet à leurs habitants d’avoir de plus vastes perspectives d’emploi ; c’est l’un des objectifs de la ligne 3 du métro du Caire, financée par l’AFD, qui va relier les deux rives du Nil et désenclaver le quartier populaire d’Imbaba.

— L’AFD a déjà participé au financement du métro du Caire ainsi que d’autres projets de transport à Alexandrie. Prévoit-elle de financer d’autres projets dans le secteur du transport ?
— Au-delà des projets, l’AFD attache une importance particulière à la planification et à la régulation des transports, afin d’optimiser l’inter-modalité. Dans cette perspective, l’AFD va appuyer nos partenaires égyptiens du secteur des transports via un fonds de 500 000 euros en cours de mise en place. Ce fonds financera des voyages d’études en France ainsi que la venue d’experts français en Egypte.

— Quels sont les projets financés par l’AFD dans les quartiers précaires en Egypte ?
— L’AFD finance actuellement un projet de soutien à l’emploi et à l’amélioration des conditions de vie dans plusieurs quartiers défavorisés d’Egypte. Le projet bénéficie d’un don de 15 millions d’euros, délégué à l’AFD par l’Union européenne, ainsi que d’une ligne de crédit de 80 millions d’euros de l’AFD. Le don et la ligne de crédit sont complémentaires : le don finance des travaux publics visant à créer un environnement propice à l’épanouissement des habitants des quartiers défavorisés, tandis que la ligne de crédit leur apporte les moyens financiers pour développer leurs entreprises. Les travaux à haute intensité de main-d’oeuvre financés par le don sont concentrés dans quatre quartiers informels du Grand Caire (Ezbet Kheirallah, Al-Zawya Al-Hamra, Ard Al-Lewa, Mit Oqba) et ciblent l’amélioration des infrastructures (eau, assainissement, éclairage), de l’accessibilité (ponts piétonniers, tunnels), des services sociaux (rénovation d’écoles et de dispensaires) et des conditions économiques (aménagement de marchés publics). La ligne de crédit permet d’octroyer des prêts à des micros et petites entreprises situées dans des zones pauvres à travers toute l’Egypte. 8 500 entreprises en ont bénéficié à ce jour, ce qui leur a permis de créer ou de sécuriser 21 000 emplois.

— Sur la base des expériences que vous avez pu faire dans d’autres pays, comment peut-on intégrer les quartiers précaires au reste de la ville ?
— Sur le plan matériel, il faut partir des demandes des habitants, qui peuvent varier selon les lieux. L’urgence est souvent l’accès à l’eau et l’assainissement. Mais de nombreux quartiers souffrent également d’un manque d’écoles, de cliniques, de terrains de sport … La construction de voies et le raccordement aux transports collectifs est un levier de développement économique, comme dans le cas du métro-câble à Medellin (Colombie), le batobus à Saint-Domingue (République dominicaine) ou le métro à Kochi (Inde) : les travailleurs peuvent atteindre plus facilement des zones d’emploi éloignées, les échanges de biens et le commerce peuvent se multiplier. Pour soutenir la croissance, les activités informelles doivent être accompagnées et non criminalisées, car elles fournissent souvent des revenus fondamentaux pour les habitants. Enfin, pour intégrer ces quartiers, il faut les connaître et les reconnaître, en actualisant les recensements et en collectant les demandes des habitants. Ceux-ci doivent jouir de leurs droits civiques, notamment disposer d’un nombre de représentants politiques proportionnel à leur poids démographique, afin qu’ils puissent défendre leurs intérêts. Les politiques publiques à l’échelle de la ville qui écoutent la parole des habitants des quartiers précaires sont gagnantes : elles sont plus utiles, plus efficaces et elles peuvent ainsi contribuer à la lutte contre la pauvreté et à une meilleure cohésion sociale .

Biographie
Irène Salenson détient un doctorat en planification et études urbaines. Elle est actuellement chargée de recherches au Département de la recherche de l’Agence Française de Développement (AFD) à Paris. Elle dirige des projets de recherche sur les quartiers informels, le recyclage des déchets et les questions foncières. Elle a coordonné pour l’AFD un livre collectif édité par Prof. Agnès Deboulet en 2016, intitulé Repenser les quartiers précaires. Le livre s’appuie sur des études de terrain à travers le monde (Egypte, Liban, Amérique latine, Inde, Afrique du Sud). Il analyse les politiques publiques à l’égard de ces quartiers depuis les années 1960 et fournit des recommandations pratiques.

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