« C’est un journal qui vit en nous et dans lequel nous vivons ». Ainsi s’exprime Dina Darwich. Cette dernière, avec une dizaine d’autres journalistes, constituent la toute première génération qui avait pour mission de fonder ce journal et de le faire réussir. A l’époque, c’était une aventure dans laquelle ils se sont tous lancés. Tout a commencé par une annonce. Et celle-ci a changé le destin de beaucoup de personnes qui avaient d’autres projets que de lancer un journal. Hicham Mourad, actuel rédacteur en chef, venant de décrocher son doctorat à Paris, attendait le jour où il pourrait réaliser son rêve, celui de joindre le campus universitaire pour devenir prof à la faculté. Lorsqu’il a été recruté à Al-Ahram comme chercheur au Centre des études politiques et stratégiques, ce n’était pour lui qu’une période transitoire en attendant d’être embauché à l’université. Mais en fait, ce poste allait le mener là où il ne s’attendait pas. Il ferait partie des tous premiers journalistes de l’Hebdo, qu’il ne quitterait plus d’ailleurs. « Je ne pensais pas qu’un jour j’allais changer de carrière et sacrifier mon rêve. J’ai été pris par le journalisme et par l’Hebdo alors que je venais de recevoir une lettre de recrutement de l’université. Je n’ai pas pu quitter ce journal », se rappelle Hicham. Pour être engagé à l’Hebdo, il fallait faire une interview avec Mohamed Salmawy, fondateur du journal et rédacteur en chef, ou avec Michel Hermane, expert médiatique français. Les critères d’embauche n’étaient pas nombreux, mais la sélection était sévère.
Ni le diplôme de journalisme n’était requis, ni l’expérience, il fallait d’abord être francophone et savoir écrire. Au bout de quelques semaines, une équipe s’est formée et avait pour mission de former un groupe de jeunes journalistes sans expérience. Avec le temps, l’Hebdo est devenu un journal respectable et ses journalistes étaient demandés par les autres journaux. « C’est ici que j’ai appris le vrai journalisme. On m’a enseigné comment faire mon travail correctement et comment le suivre à chaque étape. C’est ici que j’ai acquis le sens de la responsabilité.
La qualité est une priorité dans notre journal et j’ai appris à n’accepter que la perfection », dit Loula Lahham, chef de la Correction.
Une plaque métallique annonce la naissance de l'Hebdo
C’est au cinquième étage du bâtiment principal d’Al-Ahram qu’on a consacré un espace pour les locaux de l’Hebdo. Pour la première fois, le nom de l’Hebdo figurait sur une belle plaque en cuivre qu’on a accrochée à l’entrée du hall qui mène au siège du journal. Salle de rédaction, bureaux et ordinateurs. Enfin, on est chez nous. Des journalistes, qui ressemblaient plus à des élèves débordant d’énergie, discutaient, bougeaient dans tous les sens et fumaient. Mais il paraît que cette situation a énormément déplu aux voisins qui occupaient les salles mitoyennes à l’exemple du grand écrivain Salah Montasser, qui a publié un article critiquant l’attitude des filles de l’Hebdo. Une attitude qui lui a coûté cher, puisque quelques années plus tard, il a perdu aux élections syndicales et on a dit que c’était à cause des journalistes de l’Hebdo qui n’avaient pas oublié ses critiques. Quelques années plus tard, en 2004, toute l’équipe a déménagé dans un autre local, flambant neuf dans le nouveau bâtiment d’Al-Ahram.
Des jours et des nuits de fatigue, mais personne ne se plaignait ni demandait combien il allait gagner ni quand il pourrait être titularisé. C’était important, mais pas une priorité à cette époque. L’essentiel était de sortir le journal. Mais dès que le premier numéro avait apparu, les journalistes ont commencé à faire pression pour être titularisés par la fondation d’Al-Ahram et ils ont été récompensés.
Chérif Soliman, chef du Desk, n’oubliera jamais sa première rencontre avec Salmawy. Avec humour, il raconte comment cela s’est passé. « Je rentrais de France où je m’étais rendu quelques années auparavant avec ma famille. Après le décès de mon père, ma famille était rentrée en Egypte et voulait que je rentre. L’épouse de mon oncle paternel, Iqbal Baraka, m’a dit qu’un journal francophone était en train d’être monté, et m’a conseillé d’y aller et m’a donné les coordonnés de Mohamed Salmawy. Ne connaissant pas les rues du Caire, j’ai demandé à l’électricien qui travaillait chez nous de m’accompagner rue Al-Galaa », raconte Chérif. Nagui accompagne alors Chérif mais au lieu d’attendre à l’extérieur le temps que l’interview soit terminée, il rentre avec ce dernier au bureau de Salmawy. Pendant les 30 minutes de l’interview, Nagui n’a pas cessé de parler avec Salmawy. « Il m’a mis dans un grand embarras, car il était très bavard et il faisait un bruit effrayant en sirotant son thé », dit Chérif, qui pensait ne pas être pris. Mais, à sa grande surprise, Salmawy lui a demandé de rejoindre l’équipe de l’Hebdo. « Mon seul atout était la maîtrise du français, mais ma relation avec le journalisme ne dépassait pas la lecture des journaux. Cependant, j’ai décidé de m’installer au Caire et de me lancer dans cette aventure », dit Chérif, qui était responsable de trois rubriques en même temps, Economie, Sport et Egypte, avant que d’autres personnes ne le remplacent pour qu’il occupe le poste de chef du desk.
Pour Achraf Nada et toute l’équipe de la maquette, c’était également une aventure unique en son genre. Ces derniers avaient exercé le métier de mise en page au quotidien Al-Ahram, mais ils avaient besoin de s’adapter à un tout nouveau concept. « Il fallait initier mon équipe à un système de travail différent de celui du quotidien Al-Ahram. Le plus grand défi était d’aider mon équipe à travailler avec ces jeunes pleins d’enthousiasme et possédant une culture francophone qui pouvait paraître un peu avant-gardiste pour certains », dit Achraf Nada, vice-rédacteur en chef.
Nabila offrant un cadeau spécial à M. Salmawy.
Si l’Hebdo est arrivé par hasard dans la vie de certains, pour d’autres, ce journal a réalisé leur rêve. Amira, originaire de Port-Saïd, n’avait dans sa vie que deux rêves liés l’un à l’autre : faire des études à la faculté de télécommunications et travailler à Al-Ahram. Alors, le jour où elle est rentrée pour la première fois dans cette institution afin de rencontrer Salmawy, elle a réalisé l’un de ses rêves. « Ce jour-là, en sortant du bâtiment, j’étais tellement heureuse que tout ce qui se trouvait autour de moi me paraissait tout petit », dit Amira Doss, chef de la rubrique Mode de Vie.
Doaa, quant à elle, voyait dans le métier de journalisme un moyen de changer la société. Pour elle, ce journal pouvait transformer les choses. « La ligne éditoriale était différente, les idées plus libérales qu’ailleurs, et personne ne m’imposait des contraintes à mes articles », se rappelle Doaa Khalifa qui, après 15 ans à l’Hebdo, travaille aujourd’hui dans le quotidien Al-Ahram, dans le même objectif, tentant encore de changer les choses.
Découvrir l’Egypte
En fait étant un journal francophone, l’Hebdo a vu le passage de beaucoup d’étrangers français ou maghrébins qui voyaient dans ce journal une opportunité de découvrir l’Egypte à travers le journalisme. En commençant à travailler à l’Hebdo, Najet, Algérienne, avait déjà derrière elle 8 ans d’expérience en journalisme. Au départ, elle pensait que ce serait une expérience professionnelle de plus à ajouter à son curriculum vitae. A aucun moment, elle n’a pensé qu’elle allait passer le reste de sa vie en Egypte, à l’Hebdo. Elle s’est mariée avec un Egyptien, a eu un fils et a pris la nationalité. Toute sa vie a été chamboulée. « Je ne connaissais personne en Egypte, et grâce à mon travail à l’Hebdo, j’ai senti que j’étais avec ma propre L'famille. Je me suis fait des amis en plus de ma carrière. Et à travers mes articles pour la page Enquête, j’ai pu découvrir l’Egypte profonde », dit Najet Belhatem, ex-chef du desk.
Achraf, Omar et Rami, l'équipe de la mise en page et les coursiers de l'Hebdo entourant M. Salmawy.
Une vie commune
Voilà ce qu’est l’Hebdo pour ses journalistes : des souvenirs de vie commune « de vrais amis, de belles rencontres, de beaux souvenirs, une école et une vie ». C’est ainsi que Nabila Massrali décrit l’Hebdo où elle a passé de longues années avant qu’elle ne le quitte pour travailler à l’Union européenne.
C’est cet enthousiasme extraordinaire qui a mobilisé ces jeunes à la naissance de ce journal. Les journalistes se rendaient sur le terrain partout au Caire ou aux quatre coins du pays, sur les frontières, dans les prisons, les mines ou le désert. « Je ne craignais rien, la seule chose qui m’énervait c’est lorsque les gens se moquait de l’Hebdo. A chaque interview, surtout avec les gens de la rue, je devais expliquer ce que c’est que l’Hebdo. Ces derniers ne s’intéressaient pas à un journal publié en français et avaient du mal à prononcer son nom, pour eux, c’était soit Abdo ou Ebdo », dit Chérine Abdel-Azim, qui a travaillé dans plusieurs rubriques et est aujourd’hui responsable de la page Hebdorama.
En fait, ce qui a toujours distingué l’Hebdo, c’est qu’il représente une expérience unique au niveau de la presse écrite, mais aussi du côté humain. « C’est ma maison, c’est mon bébé, c’est ma vie », c’est ainsi que les journalistes le qualifient.
L'ancien et l'actuel rédacteurs en chef, M Salmawy et Dr Hicham Mourad, en compagnie de Fouad Mansour, directeur de la rédaction.
Hoda Ghali est allée même jusqu’à considérer chaque petit objet installé dans ce journal, comme une propriété personnelle. L’Hebdo, elle le considère comme sa maison. « Je sens que les bureaux, les claviers m’appartiennent », confie Hoda, responsable de la page Opinion.
Depuis le premier jour, une vie sociale s’est créée autour de ce journal. Une vie qui a donné un goût différent à cette expérience et qui a rendu le travail agréable. Les rencontres et les sorties en groupe se succédaient, et c’est Salmawy qui encourageait les gens à se retrouver. Une tradition que l’équipe de l’Hebdo tient à conserver. Passer la journée ensemble, sortir avec des collègues après le boulot et rentrer chez soi pour dormir avant de se revoir le lendemain.
L’équipe de l’Hebdo a fêté plusieurs fiançailles, mariages et naissances, et a partagé aussi des moments plus tristes, des divorces et même des décès. Ahmed Loutfi, Waël Ragab, Djamal Si Larbi, Névine Habib et Samer Soliman, aujourd’hui décédés, ont tous contribué au lancement de l’Hebdo. Ils nous ont quittés en cours de chemin et nous ne les oublierons jamais. Ils sont toujours présents par leurs souvenirs et leurs contributions au journal.
Actuellement, l’Hebdo traverse une nouvelle phase, car l’équipe a pris de l’âge. Les journalistes échangent non seulement les contacts des sources, mais aussi ceux des médecins, des professeurs pour les enfants et même des psychiatres ! « Lorsque des gens m’ont parlé de l’Hebdo, j’ai aimé l’ambiance de ce journal et j’ai décidé d’y poursuivre ma carrière de journaliste », dit Chaïmaa Abdel-Hamid, journaliste dans la rubrique Dossier et qui a rejoint l’équipe de l’Hebdo en 2003, dix ans après sa création.
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