Alors que l’Organisation des Nations-Unies s’active pour trouver une solution pacifique au conflit armé qui ravage le pays depuis l’été dernier, la Libye semble s’enfoncer de plus en plus dans le désordre et le chaos. Le pays est sur le seuil de l’Etat failli, avec une division de facto du territoire entre l’ouest et le centre tenus par des forces islamistes, sous la houlette des milices de Misrata, et l’est, contrôlé en grande partie par les forces séculières anti-islamistes, sous la direction de l’Armée libyenne libre, du général Khalifa Haftar, alliée aux milices de Zintan.
La réalité sur le terrain est pourtant plus complexe, chaque camp ne contrôlant pas entièrement son territoire, car des poches de résistance existent des deux côtés. Pire encore, des zones sont tombées sous la coupe de groupes terroristes, comme c’est le cas de la petite ville portuaire de Derna, à l’est, qui est aujourd’hui sous la domination d’un « califat islamique » autoproclamé à l’idéologie extrémiste semblable à celle de l’Etat Islamique (EI), en Iraq et en Syrie. Selon le chef du commandement militaire américain pour l’Afrique, le général David M. Rodriguez, l’EI serait déjà répandu dans l’est de la Libye, à travers la création de camps d’entraînement qui forment quelque 200 djihadistes. Le groupe terroriste profite ainsi du vide politique et de l’instabilité sécuritaire pour utiliser le pays comme base arrière servant à former ses militants à des opérations militaires en Libye, voire ailleurs.
Le gouvernement internationalement reconnu, dirigé par Abdallah Al-Thinni, est extrêmement faible et incapable d’imposer son autorité au-delà de parcelles de territoire à l’est du pays. La preuve : le Parlement, dont est issu le gouvernement, a été chassé de la capitale Tripoli, en août, par les milices islamistes de « l’aube de la Libye » et a dû se réfugier dans la petite ville de Tobrouk à l’est. La Cour suprême a rajouté à l’imbroglio, en déclarant inconstitutionnel, début novembre, ce Parlement qui a été élu en juin. Du coup, le gouvernement est également inconstitutionnel, conformément à la décision de la Cour.
L’effondrement de l’armée et de la police depuis la chute du régime de Kadhafi explique en grande partie la faiblesse dont souffre le gouvernement. Cet état a créé un vide sécuritaire et politique qui a été rapidement rempli par une myriade de milices et de groupes armés qui obéissent à des chefs de guerre et/ou tribaux, sans une direction unifiée. L’ensemble dessine un tableau chaotique, accentué par des convoitises autour de la richesse pétrolière du pays. La Libye est détentrice des réserves les plus importantes du continent africain, avec des exportations du brut de plus de 10 milliards de dollars par an. Mais plusieurs des gisements pétroliers sont actuellement sous le contrôle de l’un ou l’autre camp en conflit ou de milices alliés, qui utilisent les revenus des exportations pour s’autofinancer et pour l’achat d’armes.
L’intervention de parties régionales et étrangères en faveur de telle ou telle partie locale rend encore plus difficile de mettre un terme au conflit. Les protagonistes libyens deviennent, grâce à l’aide militaire et politique étrangère, plus intransigeants dans leurs positions et moins enclins au compromis, car ils croient pouvoir régler le conflit à leur profit sur le plan militaire.
La réalité sur le terrain montre qu’au moins pour le moment, aucun des deux camps belligérants n’a la capacité militaire de l’emporter sur l’autre. En conséquence, le risque est grand de voir se consacrer la division de fait du pays, avec ses conséquences prévisibles sur la population, dont un quart de million ont dû quitter leurs maisons pour fuir les combats.
Le premier pas vers une solution à la crise, qui risque de balkaniser la Libye, est que les belligérants prennent conscience de l’impossibilité de régler le conflit par les armes et des conséquences désastreuses de la poursuite des combats sur la population et l’avenir du pays. Les parties régionales et la communauté internationale ont un rôle majeur à jouer sur ce plan en pressant les protagonistes de faire les compromis nécessaires à une solution durable et, surtout, en cessant de les aider en armes .
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