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Edito: L’affrontement

Lundi, 26 novembre 2012

La tension est à son comble sur la scène politique et dans la rue égyptiennes, après le décret présidentiel du jeudi 22 novembre qui accorde des pouvoirs illimités au chef de l’Etat islamiste, Mohamad Morsi. Désormais, le pays est plus que jamais divisé entre les adversaires et les partisans des Frères musulmans, dont est issu le président, autour du processus de transition démocratique et, au-delà, de l’avenir politique du pays, avec des risques accrus d’affrontements violents. Depuis vendredi dernier, des milliers de protestataires anti-Morsi affrontent les forces de l’ordre sur la place Tahrir, épicentre du soulèvement populaire qui a renversé l’ancien président Moubarak, et ailleurs, comme à Alexandrie, Port-Saïd ou Ismaïliya. Des sièges du Parti Liberté et justice, bras politique de la confrérie, ont été pour la première fois attaqués ou incendiés. Lançant un défi aux autorités, des dizaines de manifestants ont érigé des tentes à la place Tahrir pour marquer le début d’un sit-in qui ne terminerait, selon les organisateurs, qu’avec la suppression du décret présidentiel. Dans le même temps, des milliers de Frères musulmans ont manifesté devant le palais présidentiel à Héliopolis en soutien à Morsi. Les deux camps adverses prévoient de nouvelles manifestations opposées ce mardi 27 novembre.

Deux interprétations irréductibles du dernier décret présidentiel expliquent le face-à-face actuel qui ne date pas d’hier. Plusieurs épisodes de ce duel ont jalonné le chaotique processus de transition, dont le dernier en date a abouti au blocage de l’assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution. Alors que le camp présidentiel assure que le décret décrié est nécessaire pour chasser les derniers résidus de l’ancien régime, notamment dans l’appareil judiciaire. Il s’agit notamment du limogeage du procureur général Abdel-Méguid Mahmoud, accusé par la confrérie, et d’ailleurs par d’autres forces révolutionnaires, d’avoir été un proche de l’ancien régime et de vouloir faire obstruction au jugement des caciques de l’ancien régime. Mais le décret, et c’est là que le bât blesse, accorde également une immunité à toutes les décisions présidentielles et les place à l’abri de tout recours judiciaire. Cette décision désigne clairement les magistrats comme des alliés objectifs de l’ancien régime. Les Frères musulmans accusent clairement l’appareil judiciaire de faire cause commune avec les libéraux pour faire échec au président islamiste.

Mais le décret présidentiel a immédiatement créé une levée de boucliers sans commune mesure, parmi les libéraux et les laïcs, qui se sont insurgés contre le dérive « dictatorial » du président. Le décret intervient en effet à un mauvais moment où la tension est à son paroxysme entre les forces islamistes et libérales autour de la rédaction de la Constitution et où le président et la confrérie sont accusés de vouloir « frériser » l’appareil et la presse d’Etat. L’annonce du décret présidentiel n’a fait que renforcer ces soupçons alors que la priorité devait être à la réconciliation, à la baisse de tension et à l’envoi de messages rassurants, à même de ramener les libéraux, qui s’étaient retirés des travaux de l’assemblée constituante, à reprendre le dialogue.

Les juges, qui sont visés en premier lieu, ont appelé samedi à une grève générale pour obliger le président Morsi à revenir sur ses décisions mettant en péril l’indépendance de la justice, alors que le procureur général limogé a annoncé un recours à la justice contre la décision présidentielle le révoquant.

La crise politique que traverse aujourd’hui l’Egypte est sans doute l’une des plus graves et des plus lourdes conséquences puisqu’elle oppose deux blocs politiques qui s’étaient auparavant alliés contre le pouvoir de Moubarak, mais qui sont aujourd’hui incapables de s’entendre sur la marche à suivre ou sur l’avenir du pays.

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