La Constitution est l’objectif auquel aspirait le mouvement national démocratique en Egypte depuis sa naissance pendant les années 1870. Et ce, parallèlement à l’indépendance qui a toujours été l’autre facette de ce mouvement, malgré les tentatives de les séparer lors de plusieurs phases.
Quand le combat pour la Constitution s’est acharné à la fin des années 1870 avec la croissance du rôle des pionniers du mouvement national démocratique au Conseil des députés fondé en 1866, la lutte contre l’ingérence et le pouvoir européen en Egypte constituait l’autre front du combat. Et malheureusement, ce combat n’a pas obtenu la place qu’il mérite dans l’histoire.
Le premier combat pour rédiger un document légal moderne a commencé en plein milieu de la bataille entre le khédive Ismaïl et le courant national démocratique à l’intérieur et à l’extérieur du Conseil des députés. Ce combat s’est déroulé autour de la politique monétaire qui a noyé le pays dans les dettes et a ouvert la voie à la colonisation européenne. C’est pour cela que les représentants de ce courant au Conseil des députés ont arraché leur droit de discuter de la politique fiscale et monétaire de manière générale. Et cela alors que le khédive tentait de faire passer une décision stipulant de nouveaux impôts. Quand le conflit a atteint son apogée, le khédive a échoué à entraver la Chambre des députés et a été obligé de nommer Mohamad Chérif qui était jusque-là très proche du mouvement national démocratique à la tête du gouvernement. Le premier pas entrepris par Chérif avait été de proposer un projet de Constitution donnant au Conseil de nouvelles prérogatives. La plus importante était de posséder le droit d’approuver toute loi avant sa promulgation. De plus, les ministres sont devenus responsables devant la Chambre et il est devenu interdit de décider de nouveaux impôts sans revenir à la Chambre.
Le combat s’est encore plus développé avec l’entrée de l’aile militaire dans le mouvement national démocratique dirigé par Ahmad Orabi, et les événements ont ensuite évolué jusqu’à l’occupation britannique. Or, l’oppression qui a été pratiquée contre ce mouvement pendant la colonisation n’a pas empêché l’apparition d’une nouvelle génération. Celle-ci avait une vision plus claire des questions de l’indépendance et de la Constitution et de la relation entre elles.
Cette génération a réussi à réanimer la lutte dès la fin de la Première Guerre mondiale jusqu’à l’explosion de la Révolution de 1919 contre l’occupation et l’oppression. Là, le slogan « L’indépendance et la Constitution » constituait une expression précise de la conscience de cette génération très liée au mouvement nationale démocratique.
A cette date, les Egyptiens ont aspiré à une Constitution qui serait l’expression de la Révolution de 1919 et au niveau de l’héroïsme populaire qui s’est concrétisé lors de cette révolution. Mais les espoirs des Egyptiens ne se sont pas réalisés, car, depuis cette date, il s’est avéré que la relation entre les révolutions et les Constitutions n’était pas mécanique et que ce qui compte le plus n’était pas le déclenchement de la révolution, mais sa capacité à réaliser ses objectifs à travers la Constitution. Cette réalité s’est clairement concrétisée lors du déclenchement de la Révolution de Juillet 1952, puis celle du 25 janvier 2011.
La Constitution de 1923 n’a pas exprimé les objectifs de la révolution qui l’a précédée. Il en est de même pour la Constitution de 1956 qui était contradictoire à l’un des plus importants objectifs de la révolution : l’instauration d’une vie démocratique réelle. Il n’est donc pas étrange de voir trébucher les efforts déployés pour que la nouvelle Constitution en phase de rédaction s’approche des objectifs de la révolution de janvier. Cette révolution que le Conseil suprême des forces armées a réussi à contenir et à vider de son contenu sous prétexte de la protéger. Ce n’est pas la première fois que les Egyptiens rencontrent des difficultés à donner le jour à une Constitution qui exprimerait les objectifs de leur révolution. Au point qu’il semble que cette incapacité est devenue une règle dans l’histoire de la relation entre nos révolutions et nos Constitutions, au moins jusqu’à maintenant.
C’est ce qui s’est passé pour la Constitution de 1923, alors que les ambitions des Egyptiens étaient grandioses après une révolution qui a fait trembler la terre sous les pieds de l’occupation et du palais royal. Ceux-ci s’étaient alors alliés pour contenir les répercussions de la révolution. Effectivement, le gouvernement de Adli Yakane s’était engagé en 1921 à ce que la Constitution soit rédigée par une assemblée élue, puis le gouvernement de Abdel-Khaleq Sarwat a manqué à cette promesse en décidant de nommer une commission qui serait chargée de cette mission, comprenant 30 membres compétents parmi les ex-ministres, les savants, les juristes, les hommes de religion et l’élite.
La décision avait également stipulé que cette commission serait chargée d’élaborer un projet et de le proposer au gouvernement pour qu’il soit une sorte de guide dans la rédaction de la Constitution. C’est ainsi que le gouvernement allié au roi a eu le dernier mot dans la Constitution, et jour après jour, le fossé s’est de plus en plus creusé entre la Constitution et la révolution. La même chose s’est répétée quand le peuple a échoué à faire aboutir la rédaction d’une Constitution du niveau de la Révolution de 1952, après que le Conseil de direction de la révolution eut refusé en 1954 un projet de Constitution « jeté à poubelle », comme l’a dit le penseur Moustapha Mareï et comme l’a repris l’écrivain Salah Eissa dans le titre de son chef-d’œuvre Une Constitution dans la poubelle.
Dans notre histoire moderne, la règle est que nos Constitutions n’expriment pas les objectifs de nos révolutions incomplètes. Et c’est exactement ce qui se passe pour la Constitution en voie de rédaction. Le combat concernant la nature de l’Etat et la conservation de sa laïcité a nécessité des efforts acharnés, bien que la révolution ne soit pas déclenchée pour l’identité, alors qu’il n’y a pas de différends entre les Egyptiens à ce propos, comme c’est le cas pour la charia. Ainsi, il existe une unanimité sur le fait que ses principes sont la source essentielle de la législation, pour le pain, la liberté et la justice sociale.
La version préliminaire de la nouvelle Constitution comprend des points négatifs dans certains domaines comme le fait d’être trop éloigné du minimum des droits des paysans et des ouvriers et de porter atteinteau droit de la femme et de l’enfant. De plus la liberté de manifester, de faire grève et de créer des syndicats est très restreinte.
Autant ces défauts seront corrigés dans la version finale, autant on pourra juger du degré de concordance entre la nouvelle Constitution et la révolution du 25 janvier.
Lien court: