Troisième et dernière étape de la feuille de route annoncée le 3 juillet dernier, après la destitution de l’ex-président Mohamad Morsi, les élections législatives devraient intervenir au dernier trimestre de 2014. Leur organisation, après l’adoption de la Constitution le 18 janvier et la tenue de la présidentielle, les 26, 27 et 28 mai, doit sceller la transition démocratique en Egypte après trois ans d’instabilité politique.
Déjà, la loi sur les législatives, approuvée le 4 juin par le gouvernement, crée la polémique. Les partis politiques, toutes tendances confondues, sont particulièrement insatisfaits de plusieurs dispositions qui affaiblissent leur rôle législatif, leur contrôle de l’action gouvernementale, et au-delà, leur poids dans la vie politique en général. A tel point que certains ont menacé de boycotter le scrutin à venir.
Le premier point de contentieux porte sur la répartition des 540 sièges élus du prochain Parlement entre les deux modes de scrutin choisis, uninominal et de liste. La loi accorde 80% des sièges (420) aux candidatures individuelles, et 20% (120) aux listes de parti fermées ou absolues. Pour le comité juridique— nommé le 14 avril par le président intérimaire Adly Mansour— qui avait rédigé la loi, le scrutin individuel est le plus adapté à la culture politique de la population égyptienne, dont 26,1 % sont analphabètes, notamment dans les régions rurales en Haute-Egypte. L’électeur moyen, habitué au scrutin uninominal lors de la majorité des précédentes élections parlementaires sous Hosni Moubarak et Anouar Al-Sadate, s’identifiait plus facilement à un candidat qu’il connaît bien dans sa circonscription plutôt qu’à une liste de candidats d’un parti, dont il saisit vaguement l’idéologie et le programme.
Les détracteurs de ce mode de scrutin, notamment les partis d’opposition traditionnels, comme le néo-Wafd, ainsi que les nouveaux petits partis libéraux post-révolution, nés après la chute de Moubarak en février 2011, tels que les Egyptiens libres, le Parti social-démocrate et celui d’Al-Dostour, mais aussi le parti salafiste Al-Nour, chargent le scrutin uninominal de tous les maux. Ils le jugent de nature à favoriser le pouvoir au détriment des partis d’opposition, à privilégier les riches candidats, les hommes d’affaires et les notables en villes et en province et à faciliter ainsi la corruption de la vie politique à travers l’usage de l’argent et l’achat de voix lors des échéances électorales. Selon eux, ces candidats individuels sont enclins à soutenir le pouvoir en place, quelles que soient son idéologie et ses politiques, afin de servir leurs propres intérêts matériels, favorisant ainsi la propagation de la corruption. Bref, ils font porter à ce mode de scrutin la responsabilité de plusieurs méfaits de la vie politique, déjà présents sous Moubarak.
Ils y ajoutent le risque du retour des anciens responsables du défunt parti au pouvoir sous l’ancien régime, le Parti National Démocrate (PND). Ce danger paraît un peu exagéré. Conformément à une décision prise le 8 mai au Caire par le tribunal des référés, les hauts responsables du PND sont interdits de se porter candidats aux élections. Bien que les membres qui n’avaient pas tenu de responsabilités de premier plan au PND puissent être candidats, rien n’indique qu’ils effectueront un retour remarqué au Parlement. Ils avaient échoué lamentablement lors des premières législatives post-révolution, en novembre-décembre 2011, tenues selon un mode d’élection mixte de deux tiers de scrutin de liste et d’un tiers de candidatures individuelles. Certes, le contexte politique de l’époque, à peine quelques mois après la chute de Moubarak, était fort différent de celui d’aujourd’hui. Les partis politiques, anciens comme récents, sont également opposés au scrutin de liste absolue ou fermée, dans la mesure où il favorise les puissants blocs politiques au détriment des petits partis ou coalitions électorales. Pour qu’une liste puisse être élue au Parlement, elle doit remporter au moins 50% des voix. A défaut, ses voix seront comptabilisées au profit de la liste gagnante, qui rafle ainsi tous les sièges impartis à la liste. Ce système de liste à la « majoritaire » élimine les petits partis et groupes politiques au profit des plus puissants, favorisant ainsi la stabilité politique, née de la domination d’un seul ou d’un petit nombre de partis ou coalitions. Lors des législatives de 2011, le décompte des voix obtenues par les listes de partis s’est fait à la représentation proportionnelle, permettant une plus fidèle représentation des forces politiques au Parlement. Les sièges accordés à chaque liste étaient ainsi occupés par les candidats des listes ayant obtenu les scores électoraux les plus élevés.
Les nouveaux partis politiques créés après la chute de Moubarak, mais aussi ceux plus anciens, comme le néo-Wafd (droite) ou le Rassemblement national (gauche), brillent par leur faiblesse pour des raisons multiples, dont le manque de moyens financiers, les défaillances organisationnelles, l’étroitesse de leur base sociale, la déconnexion avec les masses populaires à cause de leur caractère élitiste, la faible présence sur le terrain, notamment en campagnes, etc. La nouvelle loi sur les élections législatives ne devrait pas beaucoup les aider à se renforcer, d’où leur colère.
Mais tout n’est peut-être pas perdu. Le pouvoir a toujours la possibilité d’amender la loi, s’il est poussé en ce sens par les partis et les personnalités politiques. Il a jusqu’au 18 juillet prochain pour le faire, délai imparti par la nouvelle Constitution. Celle-ci stipule que les préparatifs pour la tenue des législatives doivent commencer au plus tard six mois après l’adoption du texte de la Constitution, entérinée le 18 janvier. Les partis politiques doivent, de leur côté, concentrer leurs doléances sur deux questions. La première est de modifier la répartition des sièges entre les deux modes de scrutin dans le sens d’une augmentation du taux de scrutin de liste, qui pourrait ainsi passer à un tiers des sièges. La seconde est d’introduire la représentation proportionnelle dans le décompte des voix remportées par les listes des partis, de façon à assurer une plus large et meilleure représentativité du prochain Parlement.
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