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Pourquoi Al-Sissi va gagner la présidentielle

Lundi, 26 mai 2014

Le maréchal Abdel-Fattah Al-Sissi est lar­gement pressenti pour être le nouveau prési­dent d’Egypte, avec une large avance sur son seul rival, le Nassérien Hamdine Sabahi. Divers sondages d’opinion l’avaient prévu. Lors du vote des expatriés, la semaine der­nière, il a écrasé son concurrent, en obtenant 94,5 % des voix.

La large victoire attendue d’Al-Sissi tient à plusieurs rai­sons. La première, et la plus importante, est celle d’être le tombeur de l’ex-président, issu des Frères musulmans, Mohamad Morsi, en réaction à d’énormes manifestations popu­laires contre son pouvoir, le 30 juin 2013. En réagissant positi­vement à cette gigantesque mobilisation populaire, Al-Sissi, alors ministre de la Défense, est depuis perçu par beaucoup d’Egyptiens comme un sauveur, celui qui avait épargné au pays la gestion catastrophique des Frères musulmans et davantage de division politique et sectaire.

Les chrétiens d’Egypte (autour de 10 % de la popula­tion) se sont sentis particulière­ment soulagés par la destitution de Morsi et la chute des Frères musulmans. Ils suivaient avec grande inquiétude la politique d’islamisation de la société, de la Constitution et des lois mises en place par la confrérie. Ils appréhendaient également un climat de plus en plus sectaire et de moins en moins tolérant à leur égard, qui avait culminé avec l’attaque meurtrière sans précédent contre la Cathédrale copte, le 7 avril 2013. Les chré­tiens ont participé massivement à la mobilisation populaire du 30 juin. Ils doivent voter massi­vement pour Al-Sissi, qui a pro­mis la fin des Frères musulmans s’il est élu. Même si Sabahi s’est également montré hostile à la confrérie, estimant qu’elle n’a pas sa place sur l’échiquier politique, le discours plus ferme d’Al-Sissi à l’égard des Frères et sa formation militaire le ren­dent un meilleur choix pour la majorité des chrétiens d’Egypte.

La deuxième raison se rap­porte à la restauration de la sécurité et de la stabilité. Depuis la chute de Moubarak, l’Egypte a connu une montée de l’insécurité et de la crimina­lité. Le blocage politique qui a marqué les derniers mois du règne de Morsi, et qui s’est traduit par des troubles et pro­testations politiques en tous genres, a rendu encore plus difficile la vie quotidienne des citoyens, qui ont largement souffert économiquement des répercussions de la révolution du 25 janvier 2011. La destitu­tion de Morsi a introduit deux nouveaux facteurs déstabilisa­teurs : les troubles et les protes­tations menés par les partisans des Frères musulmans et la multiplication des attentats ter­roristes, dans la péninsule de Sinaï et en Egypte continentale. Cet état a bénéficié à Al-Sissi. Homme fort, homme à poigne, sa formation et sa carrière mili­taire, par opposition à Sabahi, le civil, est pour beaucoup dans la réputation du maréchal, parmi la majorité de la popula­tion, qu’il est le plus à même de lui restaurer la sécurité et la stabilité qu’elle avait perdues depuis janvier 2011. La majo­rité de ceux qui sont descendus dans les rues contre Hosni Moubarak l’ont fait essentielle­ment pour des raisons écono­miques. Même s’ils aspirent aussi à établir la démocratie et le respect des droits de l’homme, prioritaires chez les jeunes éduqués qui étaient le fer de lance du soulèvement, ils cherchent d’abord et avant tout à améliorer leurs conditions de vie, durement touchées par plus de trois ans de troubles et d’ins­tabilité politiques. Aujourd’hui, leur choix est clairement fait : la stabilité d’abord, afin de pou­voir relancer l’économie du pays, résorber le chômage et améliorer le quotidien de l’Egyptien moyen. Dans ce cadre, les chiffres du chômage, considéré comme une bombe sociale à retardement, sont patents : Selon le gouverne­ment, 13,4 % (3,6 millions de personnes) de la force de travail sont aujourd’hui à la recherche d’emploi, contre 8,9 % (2,3 millions) à la veille du soulève­ment de 2011. Les chiffres offi­ciels sont en deçà de la réalité, que situent plusieurs études à plus de 20 %.

Al-Sissi l’a compris. Il ne manque pas l’occasion de sou­ligner le lien entre sécurité, stabilité et reprise économique. Avec la participation de l’ar­mée, et grâce notamment aux fonds des pays du Golfe, Al-Sissi a profité de l’effet d’annonce récente de projets économiques, de la formation de jeunes à la construction de logements sociaux. Le soutien financier prononcé de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et du Koweït, tous parti­sans de la chute des Frères et hostiles à leur retour en poli­tique, au régime intérimaire et à l’armée (Riyad devrait financer un marché d’armes russes pour Le Caire) a également bénéficié au maréchal.

Aussi bien l’homme ordinaire que la communauté des affaires ont saisi que l’arrivée d’Al-Sissi au pouvoir, par opposition à l’homme de gauche, Sabahi, assurerait la poursuite de la précieuse assistance financière des monarchies du Golfe, cru­ciale pour une reprise écono­mique, à un moment où les rapports avec les partenaires occidentaux de l’Egypte ne sont pas au beau fixe.

Issu de « l’Etat profond » et, de surcroît, de son institution la plus prestigieuse, l’armée, qui a redoré son blason depuis l’arri­vée des Frères musulmans au pouvoir, après une année et demie de transition chaotique menée par les militaires, Al-Sissi bénéficie du soutien de « l’Establishment » de ces grands corps d’Etat qui étaient en conflit avec les Frères musulmans, qui voulaient les dominer. Pour eux, Al-Sissi possède l’expérience de gestion nécessaire, tirée de son service au sein de l’appareil d’Etat, contrairement à Sabahi. Il leur est plus rassurant, car il ne chercherait pas à effectuer des purges au sein des institutions de l’Etat, comme Morsi s’em­ployait à faire.

A la bénédiction de l’appareil d’Etat, notamment la puissante armée, s’ajoute le soutien de la majeure partie des médias pri­vés, notamment les chaînes satellites, largement suivies, qui étaient clairement hostiles aux Frères musulmans lorsqu’ils étaient au pouvoir, et avaient joué un rôle important à mobili­ser la population contre eux. Dans leur majorité, ils ont opté pour Al-Sissi. Certains d’entre eux l’ont fait par effet d’entraî­nement ou par intérêt. Constatant qu’il est le grand favori de la présidentielle, ils ont jugé opportun de suivre le mouvement et de le soutenir .

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