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L’avenir de la Syrie

Mercredi, 08 janvier 2025

Depuis la chute du régime de Bachar Al-Assad, le véritable poids de la Syrie dans l’équilibre régional des forces au Moyen-Orient se révèle de plus en plus, jour après jour.

Certains, notamment parmi les Syriens vivant dans le pays, ont cru que le cauchemar était terminé et que la Syrie retrouverait paix et prospérité. Cependant, les défis menaçant de faire disparaître ces espoirs de paix et de prospérité sont rapidement apparus. Ils ont mis en lumière les convoitises et les conflits, particulièrement régionaux, qui cherchent à réorganiser l’ordre au Moyen-Orient. A cela s’ajoutent les conflits internes et les rivalités entre les nouvelles forces au pouvoir et celles qui se considèrent comme marginalisées, notamment sous l’emprise d’un groupe islamique djihadiste multi-ethnique.

Les groupes de réflexion occidentaux estiment que les événements en Syrie remodèleront le Moyen-Orient. Toutefois, ils peinent à préciser si c’est le régime au pouvoir qui est tombé ou si c’est la Syrie elle-même qui s’effondre. Ces deux notions sont radicalement différentes. En réalité, il ne s’agit pas simplement de la chute d’un régime. Il est tout à fait probable que cette série de renversements délibérés s’étende à ce que l’on appelle, dans la culture historique égyptienne, Bilad Al-Cham (le Levant), qui représentait, avec Bilad Misr (l’Egypte), les deux piliers de la nation arabe. En d’autres termes, il pourrait s’agir non seulement de la chute du régime syrien, mais également de celle du Levant historique. Cette hypothèse est renforcée par la propagande des médias israéliens autour du projet du corridor de David, qui vise à établir le « Grand Israël », allant de l’Euphrate à l’est au Nil à l’ouest. Ce projet s’appuie sur deux éléments principaux : d’une part, la chute de la Syrie, qui constituait un obstacle pour Israël dans sa volonté de s’étendre jusqu’à l’Iraq, d’autre part, le soutien illimité du président élu Donald Trump aux ambitions israéliennes d’expansion territoriale. Tout cela se déroule dans un contexte d’avidités régionales sans limites, avec des puissances cherchant à s’approprier des portions du territoire syrien.

Dans ce contexte, deux aspects survenus simultanément avec la chute du régime d’Assad méritent une réflexion approfondie. Premièrement, la Russie a faiblement défendu Al-Assad. Pourquoi la Russie a-t-elle accepté la chute du régime de son allié Bachar Al-Assad ? Cela relève-t-il d’un compromis entre la Syrie et l’Ukraine, permettant à Poutine de revendiquer une victoire (fût-elle symbolique) en Ukraine en échange de l’abandon de la Syrie ? Mais à qui profite cette reddition ? Aux organisations djihadistes radicales, à Israël, à la Turquie, ou à ces deux pays, dans un partage supervisé par les Etats-Unis du « gâteau syrien » entre leurs alliés au Moyen-Orient ? Par ailleurs, la Russie a-t-elle négocié avec l’opposition syrienne un rôle futur dans la nouvelle Syrie ? Ou bien son influence était-elle insuffisante pour imposer une contrepartie aux nouveaux dirigeants de Damas ?

Deuxièmement, et peut-être plus gravement, moins de 48 heures après l’annonce d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, l’opposition syrienne avançait vers Damas. Quelques heures après le départ de Bachar Al-Assad, l’armée israélienne lançait des dizaines, voire des centaines de raids sur les infrastructures stratégiques de l’armée syrienne, affaiblissant ainsi un pilier symbolique dans l’équation du conflit israélo-arabe. De surcroît, Israël a violé unilatéralement l’accord de désengagement de 1974, s’emparant du sommet du mont Al-Cheikh, un point stratégique offrant une position stratégique surplombant la capitale syrienne. Ces événements montrent que l’objectif ne se limitait pas au renversement d’un dirigeant tyrannique, mais à affaiblir la résistance dans son aspect militaire, politique, et stratégique. Cela s’inscrit dans le cadre d’une confrontation plus large avec le projet de renaissance arabe face aux projets concurrents, notamment le projet sioniste.

Ainsi, le discours renouvelé autour d’un nouvel ordre au Moyen-Orient, après la chute du régime syrien, équivaut à un ordre régional sur les ruines du projet de renaissance arabe. Cet ordre intégrerait les pays arabes, soit dans un projet de normalisation avec l’Etat hébreu, soit dans un projet islamo-djihadiste où les Frères musulmans joueraient un rôle central.

Le projet de résistance a-t-il définitivement disparu ? L’Iran restera-t-il passif face à l’effondrement de son projet régional ? Où se trouve le courant nationaliste arabe ? Ou entamera-t-il une révision du concept d’arabisme, loin des accusations de tyrannie et de soutien aux régimes autoritaires, pour aspirer à un nouvel arabisme démocratique et progressiste, dont l’axe principal serait la résistance pour la Palestine ? Autant de questions auxquelles les prochains mois apporteront des réponses.

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