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Pourquoi Moscou renforce sa présence en Libye ?

Mercredi, 08 janvier 2025

La libye serait-elle en passe de devenir la nouvelle plateforme de l’influence russe au Moyen-Orient à la place de la Syrie ?

Depuis mi-décembre, des informations font état du déplacement par Moscou d’armes avancées et de personnel de ses bases militaires en Syrie vers des installations dans l’est de la Libye, contrôlé par son allié le maréchal Khalifa Haftar. La Russie aurait ainsi transféré des systèmes de défense aérienne S-300 et S-400, ainsi qu’environ 1 000 militaires. Ces troupes provenaient du 5e Corps et de la 25e Division de chars spéciaux, qui soutenaient le président syrien déchu Bachar Al-Assad.

Il est évident que le récent renforcement de la présence militaire russe en Libye est lié à la chute d’Assad. Mais il est essentiel de replacer cette évolution dans son contexte historique et géopolitique plus large. Depuis que la Russie a accepté en avril 2008 d’annuler la dette de la Libye de 4,5 milliards de dollars de l’époque de la Guerre froide, le Kremlin considère sa côte méditerranéenne comme une base stratégiquement importante. Alors que la Libye sombrait dans le chaos politique après le renversement de Kadhafi en 2011, la Russie a établi une base à Al-Kadim à l’est de Benghazi (est du pays) et une autre à Al-Jufra (centre) près de la côte méditerranéenne. Ces installations ont soutenu l’intervention du groupe paramilitaire russe « Wagner » en faveur du chef de l’Armée Nationale Libyenne (ANL), Khalifa Haftar, et ont servi de plateformes logistiques pour les opérations militaires russes en Afrique, au Soudan et au Mali.

Depuis l’envoi par le ministère russe de la Défense de sa première délégation dans l’est de la Libye en août 2023 et la visite réciproque de Haftar à Moscou en septembre 2023, Moscou a intensifié sa recherche d’un accord sur des installations militaires côtières. La Russie a également modernisé les pistes de ses bases aériennes et envoyé 1 800 nouveaux militaires en Libye au printemps de cette année. Lors de sa réunion avec Haftar en juin 2024 à Benghazi, le vice-ministre russe de la Défense, Yunus-Bek Yevkurov, s’est engagé à renforcer les capacités militaires de l’ANL. Compte tenu de ces évolutions, l’expansion de la présence militaire russe en Libye n’est pas un simple remplacement de la Syrie. Elle constitue certes une protection contre une possible rupture des relations avec le nouveau gouvernement syrien dirigé par Hayat Tahrir Al-Cham.

Lorsque Moscou avait renforcé sa présence militaire en Syrie à partir de la fin de septembre 2015, il n’a pas montré d’intérêt immédiat pour la Libye, qui était déjà en proie au chaos. Fin 2017 et début 2018, cette position a radicalement changé lorsque des mercenaires du groupe Wagner sont apparus dans l’est et le centre de la Libye, où se trouvent la plupart des installations pétrolières. Wagner a envoyé quelques milliers de combattants pour aider Haftar après qu’il avait lancé une campagne militaire en avril 2019 pour prendre la capitale Tripoli. Haftar a été vaincu et ses troupes se sont retirées à Syrte, à 500 km à l’est de Tripoli. Au cours des deux années suivantes, Wagner s’est étendu à quatre pays du Sahel africain. Dès le début, Wagner faisait clairement partie de la stratégie à long terme de la Russie en Afrique, car le groupe a dirigé la planification et la création de ce qui allait devenir le Corps africain russe. Avant de poser le pied sur le sol libyen, Wagner gérait ses opérations africaines depuis la Syrie. Même Wagner en Libye était, au départ, approvisionné à partir de bases russes en Syrie. Cependant, l’effondrement du régime syrien a obligé Moscou à modifier ses plans.

La valeur stratégique de la Libye n’est pas à démontrer : elle était déjà une plaque tournante du ravitaillement en carburant pour les forces russes au Mali et au Burkina Faso. Le déploiement de S-300 et S-400 fournirait une couverture supplémentaire aux avions russes entrant dans le Sahel. Il semble que la Russie cherche également à compenser la perte de sa base navale de Tartous en Syrie en convainquant Haftar d’accorder une base à Benghazi. Si Moscou y parvient, la Libye pourrait bien devenir une plaque tournante alternative pour l’armée russe lui accordant un accès à la Méditerranée et un point de transbordement pour d’autres intérêts russes en Afrique, même si la division de facto du pays entre deux administrations rivales à l’est et à l’ouest empêche l’établissement d’un réseau stable de bases russes. En maintenant une forte présence en Libye, la Russie serait en mesure de poursuivre ses objectifs géopolitiques plus larges, notamment défier l’Occident et sécuriser des ressources critiques qui sont essentielles pour soutenir son économie sous sanctions.

L’éviction d’Assad a accru l’importance stratégique de la Libye pour la politique étrangère de la Russie. Cette visibilité accrue sera probablement préjudiciable aux espoirs de la Libye de sortir de son cycle sans fin d’instabilité politique. Le pays risque, en effet, de devenir un champ de bataille entre grandes puissances, au moment où l’Occident s’emploie à limiter l’expansion de la Russie en Afrique et au-delà.

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