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Quel rôle turc dans la nouvelle Syrie ?

Mercredi, 01 janvier 2025

Moins d’une semaine après la fuite du président syrien déchu Bachar Al-Assad, l’ambassade de Turquie à Damas a rouvert ses portes pour la première fois en 12 ans.

Quelques jours auparavant, le chef du service de renseignements turc, Ibrahim Kalin, s’est rendu à Damas, où il s’est entretenu avec le nouvel homme fort du pays, Ahmad Al-Chareh, le chef du groupe islamiste Hayat Tahrir Al-Sham (HTS). Il était le premier responsable étranger à se rendre en Syrie après la chute d’Al-Assad, témoignant non seulement des intérêts qu’entretient la Turquie chez son voisin du sud, mais aussi des bénéfices qu’elle escompte tirer de l’installation prévisible d’un régime ami. En effet, Ankara semble être le premier bénéficiaire du changement de régime en Syrie.

L’influence de la Turquie sur le HTS est réelle, sans toutefois atteindre celle d’un rapport patron-client, dans lequel ce dernier serait soumis à la volonté du premier. Pendant des années, la Turquie s’est efforcée de modérer le HTS. C’est ainsi que la ligne dure d’Al-Chareh s’est progressivement adoucie depuis l’accord d’Astana de 2017, lorsque les forces turques sont entrées pour la première fois à Idlib (nord-ouest), contrôlée par le HTS, pour faire respecter un cessez-le-feu. Peu avant la chute du régime syrien, Ankara a pendant des mois retardé le lancement de l’offensive du groupe djihadiste et a plutôt tenté de profiter d’une réunion avec des responsables russes et iraniens début novembre pour ramener Al-Assad à la table des négociations sur l’avenir politique de la Syrie. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a déclaré qu’Al-Assad avait repoussé son offre de discussion, manquant sans le savoir sa dernière chance d’empêcher la vaste offensive militaire qui a mis fin au règne de 53 ans de sa famille. Non seulement Al-Assad a refusé, mais son armée a continué à frapper la seule poche rebelle d’Idlib contrôlée par le HTS, alimentant le désir du groupe de lancer son offensive. Al-Chareh s’est approché d’Ankara fin novembre pour lui faire part de sa volonté de lancer son offensive contre le régime de Damas. La Turquie ne s’y est pas alors opposée après avoir fait une dernière tentative à Moscou pour qu’il intervienne auprès d’Al-Assad, sans résultat. Le triomphe de l’insurrection a cependant surpris la Turquie qui ne s’attendait pas à un effondrement aussi brutal et rapide de l’armée syrienne.

Cette victoire ouvre des opportunités pour la politique régionale turque et pour Erdogan au niveau national. Ankara utilisera son influence sur les nouveaux dirigeants syriens pour s’assurer qu’aucune administration autonome kurde ne s’installe dans le nord-est de la Syrie. La Turquie cherchera également à obtenir le démantèlement du groupe de combattants kurdes en Syrie connu sous le nom des Unités de protection du peuple (YPG), qu’elle accuse d’être la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe séparatiste qui combat le régime turc depuis plus de quatre décennies. La quête turque se heurte toutefois au soutien politique et militaire des Etats-Unis aux YPG, qui font partie d’une coalition kurde appelée les Forces démocratiques syriennes (SDF), établie dans le nord-est du pays. Ankara a appelé Washington à revoir sa position sur la coalition, en vain.

La chute d’Al-Assad ouvre également la porte au retour des 3,2 millions de réfugiés syriens en Turquie. Le président turc tentait depuis longtemps un équilibre intérieur sur cette question, faisant la médiation entre une image publique soigneusement élaborée de dirigeant du monde islamique accueillant les musulmans déplacés et les désirs de ses partenaires de la coalition nationaliste d’expulser bon nombre des Syriens. Dans les mois précédant la prise de contrôle surprise des zones contrôlées par Al-Assad par les rebelles, le gouvernement turc était soumis à de fortes pressions intérieures pour résoudre le problème des réfugiés. L’opposition considérait le soutien du gouvernement aux groupes rebelles comme une erreur stratégique qui a entraîné l’accueil de millions de réfugiés dont beaucoup étaient liés à des groupes d’opposition et menacés par le régime de Damas. C’est partiellement pour corriger cette erreur qu’Ankara avait commencé à explorer la possibilité de réparer les liens avec Al-Assad, sans résultat.

Dès la chute d’Al-Assad, Ankara s’est empressée d’annoncer le prochain retour des Syriens dans leur pays. Cependant, il est irréaliste de s’attendre à ce que tous les réfugiés rentrent chez eux. Leur retour ne pourrait être que progressif, influencé par des facteurs socio-économiques et sécuritaires. La sécurité doit d’abord être rétablie en Syrie, suivie d’efforts de reconstruction et de réhabilitation des infrastructures et des services de base, dont le coût devrait atteindre la coquette somme de 360 milliards de dollars.

La Turquie jouera probablement un rôle de premier plan dans la coordination de ces activités. Ankara a déjà promis de participer activement à la reconstruction de la Syrie, ce qui a fait grimper la valeur des actions des entreprises de construction et de ciment. Cette embellie a été soutenue par la volonté d’Al-Chareh, exprimée dans le journal turc Yeni Safak, de faire profiter son pays de l’expérience turque en matière de développement économique.

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