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L’université, épicentre de la contestation islamiste

Lundi, 07 avril 2014

L’attentat terroriste qui a coûté la vie à un brigadier général de la police et blessé cinq autres policiers, dont un général, aux abords de l’Université du Caire, le 2 avril, marque un nouveau pas dans l’escalade de la violence islamiste, qui frappe notamment les services de sécurité et l’armée, depuis la destitution du président issu des Frères musulmans, Mohamad Morsi, le 3 juillet 2013.

L’attentat a été revendiqué par un groupe terroriste peu connu, Ajnad Misr (soldats d’Egypte), qui s’est fait connaître pour la première fois le 23 janvier 2014. Il a justifié son acte par l’arrestation de jeunes filles islamistes, en référence probable aux étudiantes partisanes des Frères musulmans, notamment à l’Université d’Al-Azhar, fief islamiste en pleine agitation, mais aussi en allusion à d’autres femmes arrêtées lors des marches de protestation organisées régulièrement par la confrérie au Caire, dans d’autres grandes villes et en campagne. Dans son premier communiqué le 31 janvier, le groupe qui lutte contre le régime politique en place a revendiqué l’une des quatre explosions qui avaient secoué Le Caire le 24 janvier, à la veille du 3e anniversaire de la révolution de 2011. Depuis, il a revendiqué 7 attentats, tous dans la région du Caire.

A l’inverse de ceux plus sophistiqués commis par le groupe connu d’Ansar Beit Al-Maqdess, basé au Sinaï, mais dont les opérations se sont étendues au Caire et dans le Delta du Nil, les attentats d’Ajnad Misr sont plus rudimentaires, faisant usage d’explosifs artisanaux et dont le but est souvent limité à l’attaque d’une patrouille de police ou d’un poste de contrôle. C’est le cas de l’attentat du 2 avril. Celui-ci se composait cependant de trois explosions, les deux premières, presque simultanées, visaient les officiers présents au poste de contrôle, alors que la troisième, qui a détoné une heure plus tard, visait à provoquer le maximum de pertes humaines parmi les agents de police dépêchés sur place. Cette tactique d’une explosion tardive est couramment utilisée par les insurgés sunnites contre le régime politique en Iraq détenu par la majorité chiite.

L’attentat de mercredi dernier montre également que les universités de la capitale et des provinces sont progressivement devenues les foyers de la contestation orchestrée par les Frères musulmans et leurs partisans contre le régime. Les marches de protestation et les manifestations de rue, qui dégénéraient souvent en actes de violence, étaient le premier choix fait par la confrérie à la suite de l’éviction de Mohamad Morsi. La répression féroce par les forces de l’ordre, relayée souvent par des batailles de rue anti-Frères menées par des habitants des quartiers traversés par ces manifestations, mais aussi la diminution conséquente de la capacité de mobilisation populaire de la confrérie, rendaient cet outil de plus en plus inefficace.

Les Frères musulmans ont alors opté pour une escalade avec les autorités via les universités, la concentration d’étudiants y favorisait l’agitation. Les policiers visés par l’attentat du 2 avril étaient d’ailleurs chargés de faire face à de possibles débordements des manifestations menées par les étudiants pro-confrérie. Depuis le début de l’année universitaire, les étudiants pro-Frères multipliaient les marches de protestation, notamment à l’Université d’Al-Azhar. Ces manifestations prenaient de plus en plus un tour violent, avec des voitures incendiées, des façades de bâtiments attaquées, des cocktails Molotov jetés sur les forces de l’ordre. Ces dernières répondaient à leur tour avec violence et procédaient à des arrestations. Des dizaines d'étudiants incriminés sont renvoyés de l’université ou condamnés à des peines de prison. Parfois, des échauffourées éclataient entre étudiants pro et anti-Frères musulmans.

En même temps, les policiers et les militaires font l’objet d’attaques meurtrières. Le gouvernement a annoncé, le 29 mars, que les attentats terroristes depuis le 3 juillet ont causé la mort de 496 personnes, dont la majorité sont des policiers (252) et des militaires (187). Ce bilan s’ajoute à plus d’un millier de morts parmi les partisans de la confrérie. Plusieurs pages Facebook, plus ou moins proches des Frères musulmans, incitent à attaquer les forces de l’ordre, comme « Le mouvement Molotov », qui montre la façon de fabriquer les mélanges incendiaires et les moyens de les lancer. La page « Le mouvement de l’exécution » encourage, de son côté, ses partisans à cibler les hauts responsables de la sécurité et à incendier leurs véhicules. D’autres pages, comme « L’Egypte islamique » ou « Le mouvement 18 » incitent leurs membres à combattre le régime politique et à attaquer les policiers et les militaires.

Les avis divergent sur les liens qu’entretiennent les Frères musulmans avec ces groupes sur la Toile ou avec les organisations terroristes qui ont émergé depuis 2011. Certains experts sécuritaires croient que ces groupes ne sont que des entités écrans derrière lesquelles se cache la confrérie. D’autres spécialistes des groupes islamistes estiment, par contre, qu’une communauté d’intérêts existe entre les groupes djihadistes et les Frères musulmans, et qu’une certaine coordination à multiples facettes, politique, financière et médiatique, existe entre eux.

La stratégie des groupes terroristes et leurs alliés présumés, les Frères musulmans, vise à rendre illusoire la stabilité sécuritaire promise par le régime en place, en vue de le discréditer et de le mettre en échec. La vague de violence et de terrorisme qui s’abat sur l’Egypte depuis le renversement de Mohamad Morsi, avec son cortège de pertes humaines, est sans précédent dans l’histoire du pays. Elle a toutes les chances d’être longue et dure à éradiquer. Une solution à long terme ne peut éviter de s’attaquer aux racines politiques du mal .

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