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Gaza et la présidentielle américaine

Mercredi, 28 août 2024

Quel impact aura la guerre de Gaza sur la présidentielle américaine, prévue le 5 novembre ?

Le corps électoral aux Etats-Unis, comme dans tout autre pays, se soucie peu des affaires internationales. Ainsi, lorsque la plupart des électeurs entrent dans les isoloirs, ce sont des questions de politique intérieure — emploi, inflation, immigration, etc. — qui déterminent leurs choix. Cependant, entre 10 % et 20 % des Américains classent des questions de politique étrangère parmi les problèmes les plus importants auxquels leur pays est confronté. Leur vote à la présidentielle s’en trouverait affecté et pourrait faire la différence entre les deux candidats, la démocrate Kamala Harris et le républicain Donald Trump, notamment dans les Etats-pivots (swing states). Ces Etats au nombre de six — Arizona, Georgia, Wisconsin, Michigan, Nevada, Pennsylvanie — se distinguent par un vote indécis et peuvent donc changer de camp d’un scrutin à l’autre et faire basculer le résultat final.

Prenons l’exemple de Michigan qui abrite une importante communauté d’Arabes américains, forte de 211 405 électeurs. Les votes de ce groupe pourraient être décisifs, étant donné la marge en faveur de Trump de moins de 11 000 lors de la présidentielle de 2016 et d’un peu plus de 150 000 en faveur de Biden en 2020. Lorsque Harris a remplacé ce dernier le 21 juillet, un déficit entre trois et sept points de pourcentage dans les sondages au Michigan s’est transformé en quelques jours en un avantage entre trois et quatre points. En dehors du Michigan, Harris a galvanisé les jeunes électeurs qui étaient auparavant aliénés par la position de Biden sur la guerre de Gaza. Une partie de ce revirement serait due à la différence de Harris sur la question. Sans rompre avec le soutien de l’Administration à Israël, elle mit davantage l’accent sur le triste sort des civils de Gaza qui, a-t-elle dit, doivent être protégés à la fois des attaques israéliennes et de la crise humanitaire qu’elles ont provoquée. Elle s’est montrée également plus insistante dans sa demande d’un cessez-le-feu. Certes, ces positions ne satisfont pas les pro-Palestiniens parmi l’électorat, mais elles marquent une légère amélioration par rapport à celles de Biden.

La guerre brutale que mène Israël à Gaza a provoqué une évolution dans la société américaine, impensable il y a quelques années. Les sondages montrent que 70 % des démocrates et 35 % des Républicains sont favorables à l’imposition de conditions à l’aide militaire à Israël, mais chaque jour, le décalage entre ce que veulent les électeurs et ce que fait l’Administration Biden semble s’élargir. L’une des conséquences est que la confiance déjà fragile des citoyens dans leur gouvernement s’érode progressivement. Cela s’est manifesté par la création du « Mouvement sans engagement » au sein du Parti démocrate pour protester contre la politique de Biden alignée sur Israël. Il se réclame de plus de 700 000 électeurs.

Ce mouvement de protestation a fourni une nouvelle preuve que, du moins chez les libéraux, une affinité de longue date pour Israël s’érodait rapidement, victime de 11 mois d’un conflit brutal qui ne montre aucun signe de fin. En plus de tuer plus de 40 000 Palestiniens — et probablement beaucoup plus indirectement —, de déplacer des millions de personnes et de rendre invivable l’enclave palestinienne, la guerre de Gaza semble avoir endommagé, peut-être irrémédiablement, la « relation spéciale » d’Israël avec son principal allié au monde. Cela a provoqué une forte fracture générationnelle, les jeunes Américains étant presque deux fois plus susceptibles d’exprimer leur soutien à la cause palestinienne que leurs parents, y compris au sein des familles juives. La guerre a divisé les campus, conduisant de vénérables institutions censées cultiver la pensée critique à répondre par la violence policière à l’activisme pour la plupart pacifique de leurs propres étudiants. Le plus alarmant est que cette situation a donné à de nombreux Américains des raisons de douter de l’engagement de leur pays en faveur de la liberté d’expression, des droits de l’homme et de la primauté du droit.

Alors que les partisans de Trump ne semblent pas troublés par la dévastation à Gaza, de nombreux Américains restent profondément attachés à une conception nationale faisant des Etats-Unis un pays phare de la liberté et de la dignité humaine. La position de l’Administration sur la guerre de Gaza dérange plus particulièrement une jeune génération non pas seulement à cause du soutien apporté à Israël, mais également en raison de la signification de cette position pour le rôle de leur pays dans le monde. Plusieurs de ces jeunes Américains dénoncent une politique étrangère immorale contraire à l’éthique. Pour eux, dénoncer l’agression russe contre l’Ukraine tout en donnant à Israël un chèque en blanc pour détruire la bande de Gaza tient purement et simplement de l’hypocrisie.

Certes, la politique étrangère, y compris vis-à-vis de la guerre de Gaza, ne figurera pas dans les priorités de la majorité des électeurs américains, mais elle affectera le scrutin si les votants ont un choix clair entre les candidats. Les commentaires de Harris sur Gaza pourraient l’aider à projeter une image de dirigeante prête à défendre certaines valeurs sur la scène mondiale, telles que l’importance de respecter le droit international et de protéger les droits de l’homme. Ce serait un contraste marqué avec la position de Trump qui a appelé Biden à laisser Israël « finir le travail » sans entraves, affichant peu de scrupules quant aux souffrances infligées à la population palestinienne.

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