L’egypte est confrontée à la menace terroriste la plus sérieuse depuis plus d’une décennie. Dès la destitution du président Mohamad Morsi, le 3 juillet, cette menace à pris une ampleur sans précédent, notamment dans la péninsule du Sinaï, mais aussi en Egypte continentale, dans le Delta et Le Caire. Premier responsable : Ansar Beit Al-Maqdes (les partisans de Jérusalem), un groupe djihadiste créé en 2011 au Nord-Sinaï, près de la frontière avec la bande de Gaza, profitant du vide sécuritaire consécutif à la chute du président Hosni Moubarak.
Ce groupe a revendiqué la série d’attentats les plus dangereux et spectaculaires ces derniers mois, dont celui, manqué, contre le ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, le 5 septembre dernier, l’assassinat le 17 novembre de Mohamad Mabrouk, responsable du dossier des Frères musulmans au service de la sécurité nationale, les attaques meurtrières contre les directions de la police au gouvernorat de Daqahliya, à Mansoura, le 24 décembre, et au Caire, le 24 janvier, la destruction en vol d’un hélicoptère militaire au Sinaï, le 25 janvier, ainsi que l’assassinat du général Mohamad Al-Saïd, chef du bureau technique du ministre de l’Intérieur, 3 jours plus tard.
Ansar Beit Al-Maqdes avait au départ lancé ses attaques contre les intérêts d’Israël au Sinaï, dans le but de nuire à ses rapports avec l’Egypte. Les deux pays sont liés par un traité de paix, signé en 1979. C’est ainsi que le groupe a ciblé à plusieurs reprises, au Nord-Sinaï, le gazoduc liant l’Egypte à Israël. D’autres attentats mineurs ont été également commis, à partir du Sinaï, contre le territoire israélien. Le dernier en date est le lancement sur la ville d’Eilat, le 31 janvier, d’une roquette qui a été interceptée par le Dôme de fer, un système israélien de défense aérienne contre les roquettes et les obus de courte portée. Depuis la destitution de Morsi, l’organisation a réorienté ses attaques, ciblant principalement l’armée et la police égyptiennes, en raison de leur rôle dans le renversement du régime des Frères musulmans et la répression d’islamistes qui s’en est suivie. Ansar Beit Al-Maqdes considère les militaires et les forces du ministère de l’Intérieur comme des « renégats » et les a enjoints à quitter leurs postes, sous peine d’être pris pour cible. Le jour de la destitution de Morsi, il a émis une fatwa (avis religieux) déclarant « infidèles » les militaires.
Au moment de sa création, le groupe était composé essentiellement d’Egyptiens, notamment de membres de tribus bédouines au Sinaï. Mais depuis le renversement des Frères musulmans, il a été rejoint par de terroristes arabes, qui s’inspirent de l’idéologie du djihad global de l’organisation d’Al-Qaëda. L’une des indications de cette présence est la sophistication progressive de ses attaques, la destruction d’un hélicoptère militaire au Sinaï — la première du genre en Egypte — étant l’exemple le plus patent. Trop peu d’informations existent cependant sur les liens réels qu’entretient Ansar Beit Al-Maqdes avec Al-Qaëda, dirigée par l’Egyptien Ayman Al-Zawahri.
Plus importants encore sont les rapports que l’organisation est censée entretenir avec la confrérie des Frères musulmans et le Mouvement de la résistance islamique en Palestine, le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza. Certains spécialistes pensent que ces liens se trouvent essentiellement dans la communauté d’intérêts (combattre l’armée et les forces de l’ordre) entre les djihadistes et la confrérie après la destitution de Morsi et qu’il n’existe pas de coordination directe entre les deux parties.
(Photo : AP)
D’autres, plus nombreux, croient à une réelle synergie entre les Frères musulmans, les djihadistes-salafistes et le Hamas. Pour Nabil Naïm, fondateur du Djihad islamique, ancien groupe terroriste qui a renoncé à la violence à la fin des années 1990, Ansar Beit Al-Maqdes est né dans la bande de Gaza, avec le soutien du Hamas, branche palestinienne de la confrérie. Selon lui, les Frères musulmans, qui financeraient le groupe, ont voulu en faire le noyau d’une milice composée de jeunes Frères, de militants du Hamas et d’anciens combattants de la guerre d’Afghanistan, pour les aider à atteindre leurs objectifs politiques, dont leur maintien au pouvoir. Dans le même sens, le Hamas, pense Naïm, formerait les militants du groupe et leur procurerait des armes à travers les tunnels de contrebande entre la bande de Gaza et le Sinaï.
De son côté, le groupe des « Frères musulmans sans violence », une récente dissidence de la confrérie, croit qu’Ansar Beit Al-Maqdes est l’« aile armée » de la confrérie dirigée par son actuel guide suprême, Mahmoud Ezzat, supposé être en fuite dans la bande de Gaza. Son objectif est d’attaquer la police et l’armée pour déstabiliser le régime politique en Egypte, dans le but de faciliter le retour des Frères musulmans au pouvoir.
A l’appui de leur thèse, les partisans d’une implication directe de la confrérie dans la vague d’actes terroristes invoquent les communiqués d’Ansar Beit Al-Maqdes qui expliquent les raisons de ses attaques. A la suite de l’assassinat de Mohamad Mabrouk, par exemple, le groupe, dont certains membres sont des anciens Frères musulmans, a expliqué que cet attentat visait la libération des femmes appartenant à la confrérie, qui ont été détenues à la suite de leur participation à des manifestations de protestation des Frères. Autre indice : le refus d’Ansar Beit Al-Maqdes de fusionner avec « l’Etat islamique en Iraq et au Levant », un groupe inspiré d’Al-Qaëda qui épouse une idéologie djihadiste globale au champ d’action transnational. Par ce rejet, Ansar Beit Al-Maqdes veut concentrer son action sur l’Egypte et, accessoirement, sur Israël. Ce qui prouve qu’il privilégie ses objectifs en Egypte, plutôt que ceux d’un djihad transnational, revendiqué par Al-Qaëda.
Tout indique que la guerre contre Ansar Beit Al-Maqdes et les autres groupes terroristes sera longue et dure. La répression des Frères musulmans et de leurs alliés fait balancer certains islamistes radicaux dans la violence. Au Sinaï notamment, la campagne antiterroriste s’est traduite, entre autres, par la fermeture de centaines de tunnels de contrebande, source de commerce lucratif. Cet état crée des mécontents qui viennent grossir les rangs des djihadistes ou leur apportent soutien et protection dans le milieu tribal, propre aux habitants du Sinaï.
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