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Où va la guerre au Soudan ?

Mercredi, 10 juillet 2024

Il n’y a pas de fin en vue à la guerre civile au Soudan. Les deux parties belligérantes, l’armée soudanaise et les Forces paramilitaires de Soutien Rapide (RSF), ne sont pas disposées à une solution négociée et chacune estime encore — plus d’un an après le déclenchement de la guerre en avril 2023 — pouvoir remporter une victoire militaire décisive qui éliminerait son adversaire.

L’armée régulière, dirigée par Abdel-Fattah Al-Burhan, compte environ 200 000 hommes, alors que les RSF, dirigées par Mohamed Hamdan Daglo, dit Hemedti, comptent entre 70 000 et 100 000 hommes qui agissent comme une force de guérilla.

Plusieurs efforts de médiation menés par des organisations internationales et régionales comme les Nations-Unies, l’Union africaine et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), ainsi que par des pays comme l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Etats-Unis, ont systématiquement échoué. Les deux parties adverses sont en désaccord sur le partage du pouvoir depuis qu’elles ont renversé, en octobre 2021, le gouvernement civil qui était censé diriger la transition démocratique du pays, après le renversement en avril 2019 du président Omar Al-Béchir par un soulèvement populaire.

L’armée tente de reprendre le contrôle du pays à partir de la ville stratégique de Port-Soudan, sur la mer Rouge (est), tandis que l’épicentre du conflit s’est déplacé de la capitale Khartoum vers l’Etat du Darfour-Nord (ouest), où les RSF encerclent, depuis mai, la capitale de la région, El-Fasher. Après la prise par les RSF de la ville stratégique de Mellit en avril, une porte d’entrée vers la Libye voisine, essentielle pour l’approvisionnement en carburant, El-Fasher est devenue le dernier bastion de l’armée dans l’ouest. Sur le terrain, les RSF avancent, en particulier dans l’est et l’ouest du sud du pays. Elles contrôlent la majeure partie de Khartoum, l’Etat de Gézira (centre), considéré comme le grenier du pays, la vaste région du Darfour et une grande partie du Kordofan (sud). Le 29 juin, elles ont capturé Singa, la capitale de l’Etat de Sennar, dans le sud-est. Cette percée permettrait aux RSF d’étendre leurs gains dans les riches régions agricoles du Nil blanc et du Nil bleu près de la frontière éthiopienne. Elle leur permet surtout de resserrer l’étau autour de Port-Soudan qui sert de siège temporaire au commandement de l’armée, ainsi qu’au gouvernement.

Alors que la guerre se poursuit sans relâche, la population paie un lourd tribut : bombardements des camps de réfugiés, exécutions de masse, abus sexuels, aide alimentaire bloquée … Le conflit a ainsi produit l’une des pires crises humanitaires au monde, qui se trouve toutefois éclipsée par le conflit à Gaza et la guerre en Ukraine. Officiellement, le conflit a fait quelque 15 000 morts. Mais certaines estimations vont jusqu’à 150 000 morts. L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) estime que plus de 10 millions de Soudanais, soit 13 % des déplacés au monde, ont été forcés à quitter leurs foyers, dont 8 millions à l’intérieur du Soudan et 2 millions dans les pays voisins, notamment l’Egypte, le Tchad et l’Ethiopie. Le Soudan, qui compte 48 millions d’habitants, est ainsi confronté à la pire crise de déplacement au monde.

En raison de la guerre, le spectre de la famine hante le pays. L’ONU a averti que 18 millions de Soudanais souffrent de faim aiguë et 3,6 millions d’enfants sont atteints de malnutrition aiguë. 70 % des déplacés « tentent de survivre dans des endroits menacés de famine », a averti l’OIM, précisant que 55 % parmi eux sont des enfants de moins de 18 ans, et un quart ont moins de cinq ans. Les agences humanitaires affirment qu’un manque de données a empêché une déclaration officielle de famine, tandis que l’ONU accuse les deux belligérants « d’obstructions systématiques et de refus délibéré » d’accès à l’aide humanitaire, qu’ils utilisent comme arme de guerre.

Depuis le début du conflit, la production alimentaire s’est effondrée, les importations ont stagné et les prix des denrées alimentaires de base sont montés en flèche. Selon l’ONU, des personnes meurent de faim, alors que d’autres mangent des feuilles d’arbres, ou ne mangent qu’une fois tous les trois jours. Le transport de la nourriture à travers le pays, notamment vers les zones rurales et reculées où vivent la plupart des Soudanais, a été sévèrement restreint en raison du conflit, poussant plus de 37 % de la population à des niveaux de faim supérieurs à la crise. La Classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire, un instrument de mesure de l’insécurité alimentaire utilisé par l’ONU et les organisations humanitaires, a noté dès décembre que 17,7 millions de personnes au Soudan étaient confrontées à une insécurité alimentaire aiguë ; parmi elles, 5 millions étaient au seuil de la famine. En avril, au 1er anniversaire du conflit, une conférence internationale des donateurs, tenue à Paris, a promis 2,1 milliards de dollars d’aide humanitaire. Cependant, l’ONU a annoncé n’avoir reçu que 16 % du total des 2,7 milliards de dollars dont elle avait besoin.

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