L’abstention de Washington, qui a permis l’adoption de la résolution, n’a eu aucun impact sur son soutien militaire à l’Etat hébreu qui alimente sa guerre à Gaza. Ainsi, l’Administration de Joe Biden a discrètement autorisé la livraison de bombes et d’avions de combat coûtant des milliards de dollars, malgré ses inquiétudes concernant les conséquences humanitaires d’une offensive militaire israélienne à Rafah où plus de 1,2 million de Palestiniens ont trouvé refuge. Les armes transférées renferment notamment 1 800 bombes MK84 de plus de 900 kg. Cette arme dévastatrice a provoqué de nombreuses victimes civiles parmi les 34 000 morts palestiniens recensés jusqu’ici. Cette bombe, capable de niveler des pâtés de maisons et de laisser des cratères de 11 mètres de profondeur, n’est presque plus utilisée par les armées occidentales dans les zones densément peuplées. Mais Israël l’a largement utilisée à Gaza.
L’Administration Biden considère les transferts d’armes à Israël comme un sujet tabou lorsqu’elle examine comment influencer les actions du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu. Pour Washington, les raisons sont multiples. A commencer par l’interprétation qui sera faite d’une possible conditionnalité de l’aide militaire par les ennemis régionaux d’Israël, notamment le Hezbollah libanais et l’Iran. L’Administration craint qu’une telle action ne les encourage à attaquer Israël. Ce possible développement serait contraire à l’objectif de Washington d’empêcher l’élargissement régional du conflit de Gaza, un impératif compatible avec sa volonté de maintenir la capacité de dissuasion d’Israël, tirée de sa supériorité militaire. La préservation de cette supériorité est une politique remontant à la guerre d’Octobre 1973 et est destinée à donner à Israël un avantage permanent sur ses voisins en matière d’armement. Elle signifie que chaque fois que les Etats-Unis vendent des systèmes d’armes majeurs à d’autres pays du Moyen-Orient, ils fournissent à Israël une technologie compensatoire. Dans d’autres manifestations, lorsqu’un Etat arabe et Israël reçoivent la même technologie, ce dernier obtient une version plus avancée. Ce traitement préférentiel permet parfois à Israël de suivre la technologie des armes américaines. Le pays est ainsi devenu le premier opérateur international du chasseur F-35, commandant 50 modèles de ce qui est considéré comme l’avion de combat le plus sophistiqué technologiquement jamais fabriqué.
Vient ensuite l’engagement personnel du président Biden en faveur de la sécurité d’Israël, cimenté au cours de décennies de rapports étroits avec les dirigeants israéliens. Ceci explique en partie la raison pour laquelle son Administration est si réticente au changement, malgré le défi qui lui est lancé par Netanyahu qui ignore ses demandes d’éviter une offensive à Rafah et d’élargir l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza. Sur ce point, l’Administration Biden est convaincue que la conditionnalité de l’aide militaire ne fonctionnera pas comme un levier sur la coalition d’extrême droite au pouvoir en Israël, qui galvanise ses partisans en défiant Washington et en ignorant ses demandes,
La détermination de Biden à maintenir le flux d’armes vers Israël s’explique également par les exigences de la campagne électorale de la présidentielle de novembre, où il est candidat à sa réélection. La Maison Blanche craint que punir Netanyahu ne le pousse à venir aux Etats-Unis lors d’une année d’élection présidentielle pour faire cause commune avec r et accuser Biden d’avoir trahi Israël face au terrorisme, s’aliénant les électeurs juifs pro-israéliens. Netanyahu a fait de même avec l’ancien président Barack Obama en 2015 lorsque les républicains l’ont invité à s’adresser à une session conjointe du Congrès. Le président actuel de la Chambre des représentants, le républicain Michael Johnson, a déclaré qu’il prévoyait d’inviter à nouveau Netanyahu au plus fort d’une campagne électorale dans laquelle le dirigeant israélien favorise clairement Donald Trump. Le maintien de l’aide militaire à l’Etat hébreu est une condition sine qua non pour s’assurer le soutien électoral des puissants groupes d’intérêts pro-israéliens, dont le plus important est l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), qui dépense des dizaines de millions de dollars pendant ce cycle électoral pour renverser les démocrates qu’il considère comme insuffisamment pro-Israël. L’AIPAC, aux côtés des républicains du Congrès et de plusieurs démocrates, s’oppose à toute condition que l’Administration serait tentée d’imposer à l’assistance militaire à Israël.
La persistance de Biden à aider militairement Israël a aliéné la communauté arabo-américaine, d’autres minorités et les jeunes démocrates progressistes et, par conséquent, a compromis ses chances de remporter au moins le principal Etat pivot du Michigan, et avec lui peut-être toute l’élection présidentielle. Un revirement de politique maintenant ne garantirait pas de récupérer ces votes. En même temps, un tel changement risquerait d’aliéner les éléments pro-israéliens de la coalition démocrate, qui forment un puissant groupe composé principalement de juifs américains. Ceux-ci, bien que souhaitant un gouvernement autre que celui de Netanyahu, restent attachés à un soutien inconditionné à Israël.
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