Tel-Aviv avait affiché dès le début de son attaque deux objectifs : éliminer le Hamas et libérer les otages israéliens. Aucun des deux objectifs n’a été atteint. Alors que l’armée israélienne affirme avoir tué quelque 12 000 combattants du Hamas sur un ensemble estimé à 30 000, la plupart des hauts dirigeants du groupe, dont leur chef Yayha Sinwar, continuent de s’y soustraire. En parallèle, les négociations sur la libération des otages sont toujours bloquées par le refus d’Israël d’accéder aux demandes du Hamas sur l’établissement d’un cessez-le-feu permanent, le retrait de l’armée israélienne et le libre retour des civils palestiniens au nord de Gaza.
Entre-temps, l’armée israélienne, considérablement réduite en nombre depuis le déploiement massif au début de la guerre — avec une seule brigade qui serait présente dans le sud de Gaza —, a du mal à prendre et à conserver le contrôle d’un territoire traversé par des kilomètres inconnus de tunnels qui permettent la mobilité aux combattants palestiniens. La résistance continue de ces derniers donne à Israël la justification pour poursuivre la guerre, malgré son lourd bilan humain et matériel. L’offensive israélienne a provoqué jusqu’ici plus de 33 000 morts, dont une majorité de femmes et d’enfants, et 75 000 blessés, et a mis plus d’un million de personnes au bord de la famine. Selon un rapport de la Banque mondiale publié début avril, les attaques israéliennes ont détruit au moins 62 % des maisons de Gaza, l’équivalent de 290 820 logements, avec plus d’un million de personnes sans abri. Elles ont également démoli ou endommagé 84 % des établissements de santé, au moment où le manque d’électricité et d’eau empêche ceux qui restent de fonctionner.
Sans aucun moyen de réoccuper l’enclave, ni d’objectif de guerre clair et convenu en vue, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, s’est résolu à poursuivre son offensive à Gaza, pour des raisons politiques qui se résument à conserver son pouvoir. Sa persistance à poursuivre la guerre malgré les horribles conséquences humanitaires laisse Israël de plus en plus isolé sur la scène mondiale, son gouvernement faisant face à des pressions de toutes parts. Ce dernier se trouve divisé sur l’après-guerre entre trois options, qui ne sont pourtant pas réalisables. La première, favorisée par Netanyahu, plaide pour l’élimination du Hamas et la libération des otages. La deuxième, exprimée par l’aile plus extrémiste, souhaite réoccuper et administrer Gaza. Enfin, encore plus extrémiste, il y a celle qui cherche à exercer une telle pression sur la population palestinienne pour qu’elle quitte Gaza vers le Sinaï, en Egypte, ou ailleurs.
Pour sortir de ce flou sur l’après-guerre, et notamment sous la pression des Etats-Unis, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, a publié en janvier une vague proposition pour la formation d’un groupe multinational dirigé par les Etats-Unis supervisant une administration civile à Gaza composée de « notables palestiniens » — probablement les chefs des familles puissantes qui ont émergé du chaos de la guerre. Sa proposition a déclenché des plans rivaux au sein de la coalition, certains suggérant la colonisation de Gaza. Pris ensemble, ils n’ont fait que brouiller les cartes et rendre la situation encore plus confuse. En février, Netanyahu a publié son propre plan, proposant la fermeture complète de la frontière sud de Gaza avec l’Egypte, ainsi que la refonte de l’administration civile et du système d’éducation à Gaza. Il a également rejeté toute pression de la communauté internationale pour reconnaître un Etat palestinien et refuse d’envisager d’autres propositions pour l’avenir de Gaza empêchant Israël d’exercer un contrôle total sur la sécurité du territoire. Netanyahu a précédemment rejeté également la suggestion selon laquelle l’Autorité palestinienne, qui administre certaines parties de la Cisjordanie occupée, pourrait prendre le contrôle de Gaza, et a proposé à la place, à l’instar de Gallant, des « entités locales » gérant la fonction publique.
En somme, Israël n’a aucun plan viable ni pour mettre fin au conflit, ni pour gérer l’après-guerre. Il se trouve en réalité enfermé dans une logique impossible car l’un des objectifs qu’il s’est fixés — éliminer le Hamas — est à la fois irréalisable et très populaire au niveau national. Le Hamas fait partie intégrante de la société palestinienne aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanie et sa popularité a augmenté au cours des derniers mois. Il domine l’enclave depuis qu’il a pris le pouvoir en 2007, contrôlant tous les organes gouvernementaux et de sécurité, ainsi que les systèmes sociaux, de santé et d’éducation. En conséquence, Israël sera probablement confronté à une résistance armée persistante du Hamas dans l’avenir prévisible, et son armée aura du mal à neutraliser l’infrastructure souterraine du groupe palestinien, qui permet à ses combattants de se cacher, de reprendre des forces et de surprendre les forces israéliennes. Face à cette situation, Netanyahu a choisi la fuite en avant, en persistant à continuer la guerre.
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