La loi des manifestations promulguée soulève une vive polémique dans la société égyptienne, notamment parmi l’élite qui est clairement divisée sur cette loi. Certains y voient une aliénation des libertés et une entrave à l’exercice d’un droit fondamental, celui de l’organisation des manifestations pacifiques. En effet, la facilité d’exercer ce droit détermine le degré de démocratie dans un pays et ce qu’il a réalisé dans le dossier des libertés personnelles et publiques.
Cependant, la loi des manifestations en Egypte revêt un caractère particulier. Elle a été promulguée après deux révolutions et près de trois années de transition. Toutes les notions se sont entremêlées à cause de l’instabilité qui s’est prolongée sous trois régimes consécutifs. On ne connaît plus la différence entre le droit à la liberté et le droit au chaos, entre le droit d’expression pour exprimer notre opposition et le droit à porter préjudice à autrui pour exprimer la colère, entre le droit de demander des comptes à l’Etat et le droit d’anéantir l’Etat, le droit d’exercer l’action politique et le droit d’exercer le terrorisme …
Pour être objectif, il ne faut pas oublier que la conjoncture qu’a connue le peuple durant ces quelques années a directement mené à l’entremêlement des notions. Le peuple est devenu incapable de faire la différence entre les comportements ordinaires et les comportements criminels. Certains crimes se sont même transformés en actes héroïques comme la prise d’assaut des commissariats de police ou des ministères. Les victimes se sont même transformées en martyrs et ont revêtu un caractère révolutionnaire.
Dans ce contexte, l’élite devait jouer un rôle important. Mais elle n’a pas été à la hauteur, comme d’habitude. Elle n’a pas joué le rôle qui lui incombait : celui de sensibiliser les gens, de les conseiller et de les informer. Elle a préféré la popularité de la réaction au lieu de son objectivité. Elle a utilisé les écrans des chaînes satellites comme tribunes de duels idéologiques loin du véritable cadre politique, incapable de voir la ligne séparant les manifestations et la révolution.
L’élite a présenté aux Egyptiens l’idée que la révolution et les manifestations ne font qu’un et que ce qui fut permis durant les deux révolutions et la période qui les sépare doit être reconnu comme un droit avec en tête le droit de renverser le pouvoir. Par conséquent, il est indispensable d’élargir les droits des manifestants de manière importante en contrepartie de la réduction du rôle de la police dans la préservation de l’Etat et du régime, en plus du refus de toute proposition restreignant ou organisant les manifestations.
Les manifestations, lorsque ses revendications sont exagérées, sont un genre d’expression. Un groupe sort de l’entente générale ou de l’ensemble national pour exprimer une revendication privée ou publique. Dans ce cas, il est du droit de tous les pays civilisés d’organiser ces manifestations. Il n’y a rien de mal à ce que ce groupe réclame son droit à la différence. Mais en contrepartie, la majorité a aussi un droit constitutionnel à la sécurité, à la liberté de se déplacer … C’est pour réaliser cet équilibre que les lois sur les manifestations existent.
Malgré quelques réserves sur certaines clauses de la loi et sur des mesures organisant les manifestations, nous nous trouvons face à un choix important et à une situation exceptionnelle. L’élite ou sa majorité est d’accord avec l’état d’urgence afin de préserver les acquis de juin contre un groupuscule clandestin armé. Elle a même réclamé sa persistance à affronter les manifestations armées ou le terrorisme sur les frontières. Cependant, cette même élite refuse une loi des manifestations moins rigoriste et moins sévère que l’imposition de l’état d’urgence.
L’élite et les médias se sont laissés emporter par la popularité et l’absurdité de la scène. Tous ont perdu successivement leur véritable rôle entre un gouvernement ne possédant ni l’expérience politique, ni l’expérience de communiquer lui permettant de promulguer une loi sur les manifestations qu’il commence à réviser dès le premier jour de son exécution, et entre une élite qui ne sait pas ce qu’elle veut. Elle ne sait pas si elle veut passer à la phase de la Constitution, des élections et de la démocratie dont les principaux outils sont un mécanisme législatif populaire élu appelé « Parlement » capable de suspendre les lois ou de les modifier.
Même si la loi est quelque peu défectueuse, même si elle ligote quelque peu les libertés, nous devons l’accepter pour quelque temps et la considérer comme un prolongement de l’état d’urgence afin d’assurer à l’Egypte un transfert vers la démocratie et d’assurer à ses services souverains la capacité d’affronter la violence et le terrorisme, et surtout de préserver les droits de la majorité à la sécurité et à la paix. Que le gouvernement et l’élite accomplissent pour une fois leur rôle national avec professionnalisme afin de passer à la phase de stabilité et de développement tant revendiquée par les deux révolutions.
Il faut dire à ceux qui surenchérissent pour légaliser le droit à la révolution qu’aucun régime au monde ne pose des législations permettant au peuple de le détruire ou de se révolter contre lui. De plus, le déclenchement des révolutions possède des outils qu’aucune loi ni règlement ne peuvent organiser car ce sont les révolutions qui font les lois. Les révolutions de janvier et de juin en sont les preuves les plus évidentes. Mettons donc un terme aux surenchères.
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