Jeudi, 05 décembre 2024
Opinion > Opinion >

Retrouvailles égypto-turques

Mercredi, 21 février 2024

Avec la visite au Caire, le 14 février, du président Recep Tayyip Erdogan, la première depuis septembre 2011, les rapports entre l’Egypte et la Turquie ont franchi un nouveau pas décisif, scellant leur réconciliation.

Durant la visite, les deux pays se sont entendus sur la création d’un Conseil de coopération stratégique de haut niveau, dont la première réunion sera tenue lors de la première visite du président Abdel Fattah Al-Sissi à Ankara, qui devrait avoir lieu en avril.

Diverses raisons expliquent le rapprochement entre l’Egypte et la Turquie, en tête desquelles les crises économiques auxquelles les deux pays sont confrontés. L’Egypte fait face à un fardeau de la dette extérieure qui représente plus de 45 % de son budget et un important taux d’inflation (29 % en janvier), parallèlement à une pénurie de devises étrangères. Pour sa part, la Turquie est tombée en récession en 2018 et ses citoyens ont encore du mal à gérer les effets d’une inflation exorbitante, estimée à plus de 100 % par an.

Avec l’expiration de plusieurs de ses contrats à long terme, la Turquie s’est de plus en plus tournée vers l’Egypte pour s’approvisionner en gaz naturel liquéfié. De même, avec des coûts de main-d’oeuvre relativement bas en Egypte, les entreprises turques ont hâte de s’installer dans le pays des pharaons pour mieux accéder aux marchés internationaux.

Ces difficultés ont déjà incité les deux pays à maintenir leurs liens économiques, malgré leur rupture politique depuis 2013. Ces liens se sont resserrés à la faveur des pourparlers sur une réconciliation entamés en 2022. Selon le ministre égyptien de l’Industrie et du Commerce, Ahmed Samir, la Turquie est ainsi devenue l’un des plus grands importateurs de produits égyptiens et l’un des principaux partenaires commerciaux de l’Egypte en 2023. Les exportations égyptiennes vers la Turquie ont augmenté en 2023 de 28 % par rapport à 2022, enregistrant 2,9 milliards de dollars. De même, les investissements turcs en Egypte ont augmenté de 30,3 % au cours de l’exercice 2021-2022, s’élevant à 179,9 millions de dollars, contre 138,1 millions au cours de l’exercice précédent. Alors que les échanges commerciaux ont atteint 5,875 milliards de dollars en 2023, les deux présidents se sont entendus au Caire à les faire porter à 15 milliards de dollars au cours des prochaines années, à renforcer les investissements communs et à explorer de nouveaux domaines de coopération économique. Selon le chef de la partie égyptienne au Conseil d’affaires Egypte-Turquie, Adel Al-Lamey, les deux pays discutent des échanges commerciaux en monnaies locales.

En raison de la crise économique de la Turquie, Erdogan a tenté un rapprochement avec plusieurs puissances arabes, avec qui les rapports étaient tendus depuis plusieurs années à cause du soutien turc aux Frères musulmans. Il s’agissait de l’Egypte, de l’Arabie saoudite et des Emirats Arabes Unis (EAU). Erdogan voulait en particulier cultiver les flux d’investissements en provenance de la riche région du Golfe. Il a ainsi commencé à réinitialiser sa politique envers les Frères musulmans, en fermant, entre autres, leur chaîne satellitaire Mekameleen, ce qui a contribué à désamorcer les tensions avec Le Caire.

Une deuxième raison de rapprochement se trouve dans la désescalade régionale qui a créé une atmosphère positive pour réparer les relations entre Le Caire et Ankara. Il s’agissait de la fin, en janvier 2021, de la rupture diplomatique entre le Qatar, un allié de la Turquie, et ses voisins, l’Arabie saoudite, les EAU et Bahreïn, ainsi que l’Egypte. Il s’agissait également de la reprise des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran en avril dernier et de la réhabilitation progressive du régime syrien par les pays arabes. Géopolitiquement, Ankara aura besoin du soutien du Caire pour résoudre la crise en Méditerranée orientale, dans laquelle la Turquie, la Grèce et Chypre sont engagés dans une bataille sur les frontières maritimes. Une alliance s’était créée ces dernières années entre l’Egypte, la Grèce et Chypre contre la politique agressive de la Turquie dans le bassin levantin de la Méditerranée ; Erdogan s’est rendu compte que cet axe est de nature à bloquer ses ambitions énergétiques dans la région, riche en gaz naturel.

Ainsi, les retrouvailles égypto-turques sont susceptibles de modifier la dynamique géopolitique de la région et pourraient contribuer à résoudre des problèmes-clés dans l’impasse, dont la crise politique en Libye, où Le Caire et Ankara soutiennent des parties concurrentes. Alors que l’Egypte appuie l’Armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar, basée à l’Est, la Turquie soutient, par une présence militaire et des mercenaires syriens, le gouvernement d’unité nationale du premier ministre Abdel-Hamid Dbeibeh, basé à Tripoli (Ouest). Parvenir à régler leurs divergences pourrait aider l’Egypte et la Turquie à ramener la stabilité en Libye. Sissi et Erdogan ont exprimé cette volonté lorsqu’ils ont souligné, mercredi dernier, la nécessité d’une coopération bilatérale sur la question libyenne pour assurer la tenue des élections présidentielle et législatives et l’unification de l’institution militaire.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique