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La stratégie des Frères musulmans

Mardi, 12 novembre 2013

Depuis l’ouverture, le 4 novembre, du procès de l’ex-président Mohamad Morsi, la question se pose sur la stratégie à suivre par les Frères musulmans. Cette question se posait en réalité depuis la destitution par l’armée de l’ex-chef d’Etat, le 3 juillet. La tenue du pro­cès, en elle-même, est un événement majeur car, d’un côté, elle démontre la détermination des autorités à sévir contre la confrérie et à juger ses dirigeants, accusés, entre autres, d’incitation à la violence. D’un autre côté, elle représente un test pour mesurer la nature et l’ampleur de la réaction de la confrérie.

La confrérie a jusqu’ici adopté une attitude de défi contre les décisions et mesures prises par le gouvernement intérimaire à son encontre. Depuis la destitution de Morsi, les Frères musulmans ont tenu un discours idéo­logique qualifiant le renversement de leur dirigeant de complot ourdi par l’armée et les laïcs, de connivence avec l’Occident, contre le projet islamique, qu’ils prétendent incarner, et contre l’islam en général. Leur objectif était de galvaniser leurs troupes et de s’attirer la sympathie d’une population largement reli­gieuse. La rhétorique de la confrérie défend l’idée de « légitimité » d’un président démo­cratiquement élu contre ce qu’ils présentent comme un « coup d’Etat » fomenté par l’ar­mée.

Cette seconde composante de leur dis­cours s’adresse essentiellement au monde occidental, censé attaché à la défense de la démocratie. La répression violente de la confrérie, consécutive au renversement de Morsi, a été également exploitée pour propa­ger l’idée de « victimisation » en vue de gagner la sympathie d’au moins une partie de l’opinion publique locale ainsi que celle du monde extérieur, gouvernements et défen­seurs des droits de l’homme compris.

Corollaire de cette attitude de défi, émanant de leur conviction que leur groupe est incon­tournable, les Frères musulmans ont lancé depuis juillet une campagne de manifestations et de protestations en permanence contre le gouvernement intérimaire, la police et l’ar­mée. Bien que leur capacité de mobilisation se soit avérée de plus en plus réduite, les Frères ont montré une détermination à payer le prix de cette protestation en continu, en termes de victimes, de blessés et d’arrestations.

Ce prix, bien que chèrement payé, sert l’objectif de victimisation de la confrérie. Mais il sert éga­lement l’objectif à moyen terme du groupe, à savoir la mise en échec du gouvernement intérimaire et de l’ensemble du processus de transition. Car la confrérie continue à refuser de reconnaître la nouvelle réalité, née le 3 juillet, et table toujours sur son retour d’une manière ou d’une autre au pouvoir.

Pour y parvenir, elle cherche, par des mani­festations permanentes, à rendre la vie dure au gouvernement : troubles et affrontements dans la capitale et les principales villes du pays, barrage des routes, perturbations dans les transports publics, embouteillages gigan­tesques et fréquents dans les rues du Caire dus aux manifestations, vie estudiantine et univer­sitaire perturbée, menaces de sécurité sur les biens et les bâti­ments publics. Sans parler de la montée du terrorisme au Sinaï, partiellement liée à l’éviction des Frères musulmans du pou­voir. Ces actions, qui maintien­nent l’état d’instabilité politique et sécuritaire, devraient faire durer, voire aggraver, les difficultés écono­miques et sociales, auxquelles fait face le gouvernement : stagnation économique, recul ou arrêt des projets sociaux et d’infrastruc­tures, hausse du chômage, tarissement de l’investissement étranger et local, baisse des revenus du tourisme qui est une source vitale de devises étrangères, etc.

L’ensemble de ces phénomènes devrait, estime la confrérie, mettre le gouvernement dans l’embarras face à des citoyens qui, devant ces difficultés de la vie quotidienne, se retourneraient contre le régime en place. Ce qui, espèrent les Frères, provoquerait sa chute ou le pousserait à accep­ter de conclure un marché avantageux pour la confrérie. L’objectif des Frères musulmans dans ce contexte est de délégitimer le nouveau pouvoir et le processus de transition, que la confrérie dénonce comme étant « non démo­cratique » et « non inclusif ».

La stratégie du « défi » ou de la « résis­tance » adoptée par la confrérie, qui se traduit par la persistance d’une violence de basse intensité, s’explique en premier lieu par la volonté de sa direction de maintenir la cohé­sion du groupe face à la répression des autori­tés. Faire des « concessions » pour parvenir à un accord ou à une « réconciliation » avec le régime en place, afin de réintégrer la vie poli­tique légale, serait considéré au sein du groupe comme une « trahison » aux martyrs qui sont tombés depuis le renversement de Morsi, jus­tement à cause de cette même stratégie, dictée par la direction, de confrontation avec le régime.

Aujourd’hui, il serait difficile, à court terme, que les Frères franchissent ce pas, car c’est reconnaître que leur stratégie suivie jusqu’ici était une erreur. Personne dans la confrérie n’osera le faire, étant donné notam­ment que l’ensemble des dirigeants sont déte­nus, dans l’attente de leur procès. Ce serait aussi et surtout prendre le risque de faire écla­ter la confrérie entre ceux, minoritaires, qui sont disposés à un compromis avec les autori­tés et ceux majoritaires, notamment à la direc­tion, qui rejettent tout accord avec elles. La stratégie des Frères sera-t-elle payante ? Rien n’est moins sûr. La confrérie table sur l’échec du régime en place, et celui qui le succédera après la tenue d’élections législa­tives et présidentielles aux résultats encore inconnus, grâce à sa stratégie de protestations permanentes.

Cette arme est à double tranchant et peut se retourner, au même titre, contre la confrérie, car, même si une partie des Egyptiens peuvent sympathiser avec les Frères en raison de la répression dont ils sont victimes, la majorité de l’opinion publique leur fait por­ter la responsabilité de leurs difficultés quoti­diennes et économiques, en raison du main­tien de l’instabilité politique et sécuritaire. La preuve : les manifestations des Frères dégénè­rent souvent en affrontements avec des habi­tants des quartiers qu’elles traversent. Plusieurs associent également la montée du terrorisme aux Frères musulmans. L’armée, ennemi numéro un de la confrérie car elle était l’outil de la destitution de Morsi, bénéficie par contre d’un regain cer­tain de popularité, justement en raison de son renversement du régime des Frères. Au point d’assister à un phénomène de Sissi-mania, par référence au ministre de la Défense Abdel-Fattah Al-Sissi qui, s’il décide de se présenter à la prochaine prési­dentielle, l’emportera probablement.

La confrérie reste cependant une force politique dont il faut tenir compte. Elle maintient une présence sur le terrain, malgré son recul. Elle pourra bénéficier de l’ouver­ture de l’espace politique, en place depuis la chute de Moubarak. Car même en cas d’in­terdiction de son parti, Liberté et justice, les Frères musulmans pourraient se présenter en tant qu’indépendants aux prochaines législa­tives et remporter une certaine représenta­tion politique.

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