En un peu plus de deux mois, l’offensive a causé plus de destructions que celles d’Alep en Syrie entre 2012 et 2016, de Marioupol en Ukraine en 2023 ou, proportionnellement, les bombardements des alliés sur l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a tué plus de civils que la coalition dirigée par les Etats-Unis au cours de sa campagne contre le groupe de l’Etat islamique (Daech) en Iraq et en Syrie, de 2014 à 2017.
Selon une analyse des données du satellite européen d’observation de la terre Copernicus Sentinel-1, effectuée par des experts en cartographie des dommages de guerre à City University de New York et Oregon State University, l’offensive israélienne a détruit plus des deux tiers de toutes les structures dans le nord de Gaza et un quart des bâtiments de Khan Younès dans la zone sud. Cela comprend des dizaines de milliers de maisons, ainsi que des écoles, des hôpitaux, des mosquées, des églises et des magasins. A titre de comparaison, les forces alliées ont attaqué 51 grandes villes allemandes entre 1942 et 1945, détruisant environ 40 à 50 % de leurs zones urbaines, ce qui représentait 10 % des bâtiments en Allemagne. Un consortium d’organisations d’aide humanitaire dirigé par les Nations-Unies a estimé, fin novembre, que plus de 234 000 maisons ont été endommagées à Gaza et 46 000 détruites, soit environ 60 % du parc immobilier de l’enclave.
Ces démolitions massives d’habitations, couplées à la destruction de vergers, de serres et de terres agricoles dans le nord de Gaza, révélée également par des images satellites, amènent les experts juridiques internationaux à avancer le concept de « domicide » qui signifie la destruction délibérée et systématique de maisons dans la bande de Gaza, afin de rendre le territoire inhabitable. Selon l’ONU, 1,8 million de personnes, sur une population de 2,3 millions, sont déplacées à l’intérieur de Gaza, dont beaucoup vivent dans des abris surpeuplés dans le sud du territoire.
Le « domicide », une notion de plus en plus acceptée dans le milieu universitaire, n’est pas un crime distinct contre l’humanité en vertu du droit international. Mais le rapporteur spécial des Nations-Unies au droit au logement, Balakrishnan Rajagopal, a déposé en octobre 2022 un rapport à l’ONU faisant valoir qu’« une lacune de protection très importante » devait être comblée à ce sujet. Il soutient qu’il existe une lacune dans le droit international car, bien que la protection des habitations civiles soit couverte par le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale en ce qui concerne les crimes de guerre dans les conflits entre Etats, elle n’est pas répertoriée parmi les crimes contre l’humanité qui pourraient avoir lieu dans un conflit au sein d’un Etat ou impliquer des acteurs non étatiques. « Cela s’applique à la destruction massive de logements dans le conflit israélo-palestinien à Gaza », a souligné Rajagopal.
Le terme de « domicide » soulève la question de savoir si l’ampleur des dégâts causés par l’armée israélienne aux civils, aux habitations et aux infrastructures à Gaza est un sous-produit de l’objectif déclaré de détruire le Hamas ou fait partie d’un plan secret visant à expulser les Palestiniens de leur terre, effaçant la possibilité que l’enclave devienne un territoire viable dans un avenir prévisible. Des fuites provenant de l’intérieur du gouvernement israélien, y compris du ministère du Renseignement, montrent que des responsables ont exprimé la volonté de pousser les Palestiniens à quitter Gaza, volontairement ou de force. Giora Eiland, ancien chef du Conseil de sécurité nationale israélien, a écrit dans le journal Yedioth Ahronoth que « l’Etat d’Israël n’a d’autre choix que de transformer Gaza en un endroit où il est temporairement ou définitivement impossible de vivre. Créer une grave crise humanitaire à Gaza est un moyen nécessaire pour atteindre l’objectif que Gaza deviendra un endroit où aucun être humain ne pourra exister ».
La responsabilité des Etats-Unis dans ce crime ne peut être escamotée. Alors que le nombre de morts palestiniens à Gaza a dépassé les 21 000, la communauté internationale appelle incessamment à un cessez-le-feu. Israël promet, au contraire, d’intensifier la guerre, avec la complicité et la protection de l’Administration américaine qui continue tranquillement à lui fournir des armes, malgré la récente mise en garde publique exprimée par le président Joe Biden que l’Etat hébreu perdait le soutien international en raison de ses « bombardements aveugles » des civils palestiniens. Bien que l’armée israélienne parle peu des types de bombes et d’artillerie qu’elle utilise à Gaza, les experts militaires sont unanimes à confirmer, à partir des fragments d’explosion trouvés sur place et des analyses des images des frappes, que la grande majorité des bombes larguées sur l’enclave assiégée sont de fabrication américaine.
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