Les Etats-Unis seraient-ils en train de se raviser sur leur politique d’aide à l’Egypte ? Certains indices laissent entrevoir un assouplissement en la matière. Le premier est la visite inopinée du secrétaire d’Etat, John Kerry, au Caire, dimanche dernier, la première depuis la destitution de Mohamad Morsi, le 3 juillet. Le deuxième est la demande faite par l’Administration de Barack Obama au Congrès de trouver un moyen législatif lui permettant de continuer à accorder l’assistance militaire et économique annuelle de 1,5 milliard de dollars à l’Egypte. Citant les intérêts cruciaux des Etats-Unis en Egypte et au Moyen-Orient, Washington a demandé le 29 octobre aux députés une dérogation, afin d’éviter la rupture de l’assistance américaine, dont une partie a été suspendue, le 9 octobre.
La demande de l’Administration a trouvé un écho favorable au Congrès. Certains parlementaires de la commission des Affaires étrangères à la Chambre des représentants ont mis en doute le bien-fondé de la suspension provisoire d’une partie de l’aide militaire à l’Egypte, alors que la plupart ont exprimé leur soutien à la poursuite de l’aide américaine, tout en la qualifiant de l’option la moins mauvaise. D’aucuns ont taxé la politique d’Obama en Egypte de confuse, la majorité a par contre estimé qu’elle n’avait pas porté ses fruits de pousser le régime intérimaire à observer un processus de transition plus inclusif et qu’elle a, au contraire, produit l’effet inverse. Pour les députés, ainsi que pour l’Administration, l’inclusion des Frères musulmans dans le processus de transition est une garantie de stabilité politique, celle-ci étant une condition nécessaire pour la préservation des intérêts américains dans la région. Cette position ne traduit pas un quelconque soutien aux Frères musulmans en tant que mouvement politique, les députés ainsi que l’Administration ayant fait à diverses reprises aveu de leur déception à l’égard de l’année passée par Morsi au pouvoir. Ils le considèrent aussi autoritaire et autocrate que son prédécesseur, Hosni Moubarak, et l’estiment avoir échoué à mener un processus démocratique inclusif des différentes forces politiques.
Ce léger changement de langage, et d’attitude, aussi bien à l’Administration qu’au Congrès, est le fruit de leur constatation que la pression exercée à travers le gel d’une partie de l’aide n’a pas donné le résultat escompté et que si l’assistance contribue à maintenir l’Egypte dans le cercle des alliés des Etats-Unis, elle est incapable de forcer le régime égyptien en place à conduire une politique qu’il juge contraire à ses intérêts. Les députés et les responsables américains invoquent à cet égard la décision du ministère de la Solidarité sociale, au lendemain du gel d’une partie de l’aide américaine, de dissoudre l’association des Frères musulmans et la décision d’une cour égyptienne de fixer à 4 novembre la date du procès de l’ex-président Morsi, pour incitation à la violence et au meurtre de manifestants.
Ce constat de faiblesse a déjà été fait par l’Administration depuis quelque temps, malgré la suspension d’une partie de l’aide annuelle, qui répond en grande partie à des considérations de politique intérieure. En fait, Washington a continué, après ce gel, à envoyer du matériel militaire à l’armée égyptienne et à financer des programmes civils en utilisant l’aide, de plusieurs centaines de millions de dollars, précédemment allouée, avant la destitution de Morsi, mais qui n’a pas été déboursée. Cet argent devrait cependant être épuisé dans quelques mois, d’où la demande de dérogation adressée par l’Administration au Congrès.
Le changement perceptible dans la rhétorique et le comportement de Washington et au Congrès se comprend aussi dans un cadre plus large, régional et international. Les Etats-Unis souffrent au Moyen-Orient de plusieurs revers, à commencer par les crispations avec l’Iraq et l’Egypte, leurs déboires en Syrie et, enfin, la récente tension avec l’Arabie saoudite sur plusieurs sujets, dont le dossier nucléaire iranien, la crise en Syrie, le conflit palestino-israélien et l’Egypte. Riyad, un puissant allié du régime intérimaire actuel en Egypte et un farouche ennemi des Frères musulmans, s’oppose à la politique égyptienne de Washington jugée pro-confrérie de nature à affaiblir le régime intérimaire. C’est pour réduire cette tension que Kerry s’est rendu également cette semaine à Riyad.
Les Etats-Unis craignent également que si la tension perdure avec l’Egypte, celle-ci se rapprochera d’autres puissances à dimension mondiale, rivales de Washington, telles la Russie et la Chine. Moscou, hostile au même titre que Riyad aux Frères musulmans, n’a pas fait mystère de sa disposition à aider et à soutenir le régime actuel en Egypte. La Russie de Vladimir Poutine, en pleine ascension, tente de retrouver son influence, sa stature et son prestige d’antan, du temps de l’ancienne Union soviétique. Le récent échange d’amabilités entre Le Caire et Moscou et la visite cette semaine au Caire du chef du renseignement militaire russe, Viackeslav Kondraskou, montrent bien la volonté des deux pays de développer leurs relations. Certes, pour l’Egypte, il s’agit davantage de diversifier ses sources de financement et d’opérer un meilleur équilibre dans ses rapports extérieurs que de rompre avec les Etats-Unis ou de les remplacer par la Russie. Idem pour la Chine qui s’intéresse au marché égyptien. Pékin, qui est devenu le premier importateur du pétrole dans le monde, lorgne de plus en plus le Moyen-Orient, en raison de ses réserves stratégiques de brut. Certes, l’Egypte n’est pas un exportateur de pétrole, mais ses rapports étroits avec les Etats du Golfe peuvent avoir un effet bénéfique sur l’approvisionnement de la Chine en hydrocarbures.
Les Etats-Unis ne peuvent, dans ces conditions, se permettre de perdre ou de distendre ses rapports avec leur allié égyptien. Les responsables de l’Administration et les députés au Congrès ont clairement souligné qu’ils tiennent au partenariat stratégique que leur pays avait construit pendant des décennies à coups de centaines de millions de dollars et qui préserve des intérêts américains cruciaux au Moyen-Orient. L’Egypte, de son côté, cherche également à préserver ce partenariat, tout en évitant une intervention américaine musclée dans ses affaires internes. La preuve : elle vient de louer, le 11 octobre, les services d’une société américaine de lobbying pour améliorer son image auprès de l’Administration, du Congrès et des médias américains. Les deux pays devraient, si le processus de transition est mené à son terme, trouver ce nouveau point d’équilibre.
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