L’un des changements les plus notables cité par l’ISW est l’utilisation accrue par le groupe de charges explosives conçues pour pénétrer les blindages, même lorsqu’ils sont tirés à de grandes distances. Ces projectiles sont capables de percer des armures ou des fortifications très épaisses, notamment les chars. Le Hamas utilise également de plus en plus de drones d’attaque contre les forces israéliennes, ce qui marque une autre avancée technique dans sa capacité militaire.
Sur le plan tactique, les opérations du Hamas dans la première phase de l’attaque israélienne contre le nord de Gaza visaient à ralentir la progression de l’armée israélienne afin de donner au groupe palestinien le temps de déplacer ses dirigeants et son matériel militaire vers la partie sud de l’enclave. Maintenant que le champ de bataille s’est principalement déplacé vers le sud, le Hamas devrait opter pour une approche plus conflictuelle contre l’offensive terrestre israélienne, car il ne dispose pas d’autre endroit où s’échapper. Ce qui signifie que le groupe est amené à résister plus hardiment que dans le nord, d’autant plus que le sud de l’enclave renferme à l’heure actuelle ses principaux dépôts d’armes et de munitions. Le sud est également la source d’un fort soutien populaire au Hamas, en particulier à Khan Younès, la ville natale du dirigeant du groupe, Yahya Sinwar, et Mohamed Deif, chef de son bras armé, les Brigades Ezzeddine Al-Qassam.
Il faudra donc s’attendre à ce que les affrontements soient plus intenses et l’avancée d’Israël plus difficile. Dans cette bataille, ainsi que depuis le début de l’offensive israélienne, le facteur temps joue en faveur du Hamas, car plus la guerre durera, plus l’image de l’Etat hébreu sera ruinée en raison de son bombardement aveugle de la population civile, et plus les pressions internationales s’intensifieront pour qu’il accepte un cessez-le-feu. Dans ce sens, l’objectif du Hamas est de pouvoir se tenir debout quand cette guerre sera terminée. Une victoire du Hamas sera alors de montrer qu’il est toujours là, malgré l’offensive meurtrière et sans précédent d’Israël.
Pour le moment, cette stratégie semble fonctionner. Car même si l’armée israélienne s’est dirigée vers le sud de Gaza, ses opérations dans le nord sont loin d’être terminées. Bien qu’une grande partie de la ville de Gaza ait été rasée par les frappes aériennes, les forces terrestres ne sont pas encore entrées dans certains des principaux bastions du Hamas. Environ un tiers de la ville échappe toujours au contrôle de l’armée israélienne. L’imagerie satellite prise par l’entreprise américaine Planet Labs juste avant la fin de la trêve le 2 décembre a montré peu de signes d’une présence militaire israélienne autour de bastions connus du Hamas dans le nord, comme Shejaiya ou Jabalia. Ces zones ont fait l’objet de bombardements intensifs depuis le retour aux combats.
La stratégie du Hamas s’étend au-delà du champ de bataille. Car il s’agit également d’une guerre d’images, de récits et de perceptions pour une patrie palestinienne occupée par les Israéliens. Le Hamas a compris depuis longtemps que son pouvoir auprès des Palestiniens ne réside pas seulement dans ses capacités de résistance militaire à l’occupant israélien, mais aussi dans sa capacité à influencer son opinion publique. Il a réussi à exploiter les sentiments profonds d’injustice parmi les Palestiniens et a magistralement élaboré un récit de griefs qui raconte l’histoire du vol systématique de leurs terres au cours des 75 dernières années, aggravé par la pauvreté écrasante de leur vie quotidienne.
Dans cette même guerre de l’information, le but du Hamas est de retourner l’opinion publique internationale contre Israël et de créer un cri de ralliement pour un Etat palestinien indépendant. Le groupe a eu du succès jusqu’à présent, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe : les images d’effusion de sang et de destruction massive à Gaza façonnent le sentiment public contre Israël, causant un préjudice majeur à sa réputation et mettant ses alliés occidentaux dans l’embarras. C’est ainsi que le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a averti Israël qu’il risquait une « défaite stratégique » s’il ne protégeait pas les civils palestiniens. En effet, l’approche militaire d’Israël joue ironiquement en faveur du Hamas. Les atrocités et les sanctions contre la population palestinienne n’ont pas poussé cette dernière à cesser de soutenir le Hamas. Au contraire, elles n’ont fait qu’exacerber son ressentiment contre Israël. Plus de deux mois de guerre ont montré que si Israël peut démolir Gaza, il ne peut pas détruire le Hamas. Par ses bombardements aveugles, qui ont fait jusqu’ici plus de 17 000 morts, Israël produit presque certainement plus de combattants qu’il n’en tue, puisque chaque civil tué aura une famille et/ou des amis désireux de rejoindre le Hamas pour se venger.
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