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La guerre de Gaza et l’ordre international

Jeudi, 26 octobre 2023

Au moment où le président américain, Joe Biden, se rendait en Israël pour afficher son ferme soutien au pays, le président russe, Vladimir Poutine, était en Chine, où il a affiché leur communauté de vues sur l’escalade de la violence au Proche-Orient.

Les positions des deux pays contrastent avec celles des Etats-Unis qui ont signalé que le moment n’est pas approprié pour un cessez-le-feu, afin de permettre à Israël de poursuivre son offensive contre la bande de Gaza. La Chine et la Russie ont, en revanche, appelé à une cessation des hostilités et Moscou a présenté la semaine dernière une résolution en ce sens au Conseil de sécurité de l’Onu, qui a été soutenue par la Chine mais rejetée par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France. Les deux pays ont également critiqué Israël. Poutine a comparé le siège hermétique de la bande de Gaza par Israël à celui de Leningrad par l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Cela, en substance, assimilait les Israéliens aux nazis, une référence susceptible de provoquer une profonde offense en Israël. Un tel langage traduit un changement radical dans les relations autrefois chaleureuses de Poutine avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu. De son côté, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a déclaré que les actions d’Israël dépassaient le cadre de la légitime défense vers une punition collective des Palestiniens de Gaza.

La guerre entre Israël et le Hamas et l’intensification de la crise — après une frappe meurtrière d’un hôpital gazaoui faisant des centaines de morts parmi les civils qui y ont cherché un abri contre les bombardements israéliens — ont souligné le fossé grandissant entre l’Occident d’un côté et la Russie et la Chine de l’autre, approfondissant les lignes de fracture géopolitiques à l’échelle mondiale. Ces clivages ne portent pas seulement sur la partie responsable de l’escalade de la violence, mais également sur les règles qui sous-tendent les relations mondiales et sur qui peut les définir. Contrairement aux Occidentaux, la Russie et la Chine ont refusé de condamner le Hamas, estimant que l’Etat hébreu est responsable de la situation qui a produit l’attaque du mouvement palestinien. Elles ont également critiqué le traitement réservé par Israël aux Palestiniens, en particulier sa décision de couper l’eau, l’électricité et la nourriture à Gaza, ainsi que ses bombardements provoquant des milliers de morts parmi les civils.

Dans leur refus de blâmer le Hamas et leurs efforts pour s’associer à la cause palestinienne, la Russie et la Chine font appel au grand public arabe et à un sentiment plus large dans le Sud global, terme désignant les pays en développement. Pour elles, c’est Israël qui mène une politique colonialiste par son occupation de la Cisjordanie, son soutien à la colonisation juive sur les terres palestiniennes et son isolement des 2,3 millions d’habitants de Gaza, soumis même en temps normal à de fortes restrictions de leurs libertés. Le Sud global, qui comprend la plupart des pays arabes, est un domaine vital de la nouvelle concurrence entre l’Occident et l’alternative sino-russe. Pour de nombreux pays du Sud, les Etats-Unis et l’Occident en général sont du côté de l’occupant israélien. La Chine et la Russie en profitent en termes politiques, stratégiques et de stature afin de saper l’ordre international dirigé par les Occidentaux et de renforcer leur leadership alternatif à celui des Etats-Unis. Alors que la Chine s’emploie à former une coalition la plus large possible de pays en développement pour étendre son influence économique et géopolitique et renforcer ses efforts visant à rivaliser avec les Etats-Unis sur la scène mondiale, la Russie cherche du soutien pour sa guerre continue en Ukraine et tente d’affaiblir le camp adverse mené par les Etats-Unis.

Sous sanctions occidentales, la Russie a beaucoup à gagner de la guerre entre Israël et le Hamas, dans la mesure où elle lui permet de dénoncer « l’hypocrisie » et la politique de deux poids, deux mesures des gouvernements occidentaux, qui ont fermement condamné les massacres russes de civils en Ukraine, mais n’offrent que de légères critiques, voire aucune, des agissements israéliens à Gaza. Poutine a ainsi saisi l’occasion du conflit pour blâmer Washington. « Je pense que beaucoup de gens conviendront avec moi qu’il s’agit d’un exemple frappant de l’échec de la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient », qui ignore, a-t-il déclaré, les intérêts palestiniens. Ce genre de déclarations fait partie des efforts diplomatiques de la Russie pour se positionner comme le leader du mouvement mondial contre le « néocolonialisme » de l’Occident. La Russie en a toujours voulu à Washington de dominer le Moyen-Orient et le processus de paix et verrait, autant que la Chine, des avantages si la guerre contre le Hamas ralentissait ou même compromettait les efforts de Biden pour renforcer les relations des Etats-Unis avec l’Arabie saoudite, y compris un éventuel pacte de défense, en échange de la normalisation des relations entre Riyad et Israël. Si le conflit Israël-Hamas détourne l’attention de Washington de la guerre entre la Russie et l’Ukraine et réoriente des armements américains sollicités, comme la défense antimissile et les munitions d’artillerie, d’Ukraine vers Israël, ce n’est qu’un avantage supplémentaire pour Moscou.

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