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Un tournant dans le conflit du Proche-Orient

Jeudi, 19 octobre 2023

L’offensive sans précédent du 7 octobre menée par le mouvement palestinien Hamas contre Israël constitue sans doute un tournant dans le conflit du Proche-Orient.

Plusieurs questions sont posées sur les raisons et le moment choisi pour lancer l’attaque, ainsi que sur ses conséquences. Quelques éléments pourraient éclairer la situation.

Le contexte : sous le gouvernement le plus à droite, ultranationaliste et religieusement conservateur qu’Israël ait jamais connu depuis sa création en 1948, les conditions de vie des Palestiniens se sont sensiblement détériorées. Il ne s’agit pas seulement des habitants de la bande de Gaza, qui vivent sous un blocus depuis 16 ans, mais également de la Cisjordanie. Depuis l’entrée en fonction l’année dernière de la coalition du premier ministre, Benyamin Netanyahu, on a observé une augmentation de la violence exercée par les colons israéliens contre les villageois palestiniens en Cisjordanie occupée, ce qui a provoqué, selon les Nations-Unies, le déplacement de centaines de Palestiniens. La police israélienne a également mené de plus en plus de raids dans des villes comme Jénine et Naplouse et dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, un point névralgique du conflit. Près de 200 Palestiniens ont été ainsi tués cette année, selon l’envoyé de l’Onu pour le Moyen-Orient, Tor Wennesland. Ce pourrissement de la situation intervenait alors que les négociations de paix sont au point mort depuis des années. Aucune perspective de règlement politique n’est en vue. Au contraire, le gouvernement israélien intensifiait sa politique de colonisation, rendant de plus en plus improbable la solution de deux Etats soutenue par la communauté internationale, y compris les Etats-Unis.

Le timing : L’offensive du 7 octobre est survenue au moment où l’Arabie saoudite, puissant acteur régional, et Israël se rapprochaient d’une normalisation « historique » de leurs relations. L’un des messages politiques de l’action palestinienne serait donc adressé au « camp des normalisateurs » arabes et viserait à compromettre le rapprochement saoudo-israélien, de peur que la question palestinienne ne devienne encore plus marginalisée. Il voulait transmettre l’idée que les plans visant à forger un « Nouveau Moyen-Orient » sans la Palestine ne passeront pas sans opposition. Seul l’avenir dira si l’attaque du Hamas et la réponse dévastatrice d’Israël aideront ou entraveront cet objectif.

Les conséquences : L’attaque réussie du Hamas a écorné l’image d’Israël en tant que puissance invincible disposant de l’une des armées les plus puissantes du monde. Face à cette supériorité militaire écrasante, le Hamas a utilisé des engins piégés artisanaux, des roquettes et des armes légères, complétant un arsenal d’armes légères plus sophistiquées qu’il a réussi à introduire clandestinement. Le lourd bilan de l’offensive a été rendu possible grâce à des tactiques d’embuscades afin de minimiser les pertes du groupe et maximiser l’impact des opérations en réduisant les affrontements directs.

Sur le plan politique, l’attaque du Hamas marque la fin d’une croyance vieille de plusieurs décennies en Israël selon laquelle les aspirations palestiniennes à l’indépendance et à la souveraineté pourraient être indéfiniment ignorées. La politique de mise à l’écart des Palestiniens reposait sur trois postulats, dont chacun a été battu en brèche par l’assaut du Hamas. Le premier est que, même si la question palestinienne était laissée pourrir, les Israéliens pourraient rester en sécurité. A la suite des pertes humaines de la deuxième intifada, qui s’est terminée en 2005, Israël a enfermé la population palestinienne derrière des murs de sécurité. Un service de renseignement parmi les meilleurs au monde et une puissance de feu écrasante signifiaient que la menace des combattants palestiniens était contenue. Cette conviction semble maintenant brisée. Nul doute qu’Israël est en mesure de rétablir sa domination militaire sur les Palestiniens. Mais il est peu probable que le statu quo qui perdure depuis des décennies soit désormais suffisant pour garantir la sécurité des Israéliens.

Le deuxième postulat était que l’existence du Hamas aide Israël à traiter avec l’Autorité palestinienne, qui dirige la Cisjordanie. Il est fondé sur l’idée que diviser pour régner maintenait les Palestiniens en position de faiblesse et que l’influence des factions radicales saperait la crédibilité des modérés en tant que partenaires pour la paix. Cette politique convenait parfaitement à Netanyahu. Mais l’attaque du 7 octobre l’a fait voler en éclats. L’une des raisons pour lesquelles le Hamas a frappé était que diviser pour régner a créé les conditions dans lesquelles le mouvement islamiste est monté en puissance, alors que l’Autorité palestinienne est devenue fragile. La rivalité inter-palestinienne était censée protéger les Israéliens ; elle a fini par en faire des cibles.

Enfin, Israël pensait pouvoir enterrer définitivement la cause palestinienne à travers une politique régionale active qui aboutirait, grâce à la médiation des Etats-Unis, à des accords de normalisation avec les Etats arabes. Cette vision a été entérinée par la conclusion des accords d’Abraham avec les Emirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan en 2020. L’Arabie saoudite semblait suivre le même chemin. Mais l’attaque du Hamas a montré que les Palestiniens ne pourraient pas être ignorés.

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