Le protocole d’accord a été signé par les deux pays, ainsi que par l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis (EAU), la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Union européenne. Ce projet ambitieux vise à connecter les pays du Moyen-Orient par un chemin de fer et à les relier à l’Inde et à l’Europe par voie maritime, contribuant ainsi à la circulation de l’énergie et du commerce tout en réduisant les délais de transport, les coûts et la consommation de carburant. Il cherche ainsi à intégrer le vaste marché indien de 1,4 milliard d’habitants aux pays occidentaux et à stimuler les économies du Moyen-Orient.
L’IMEC s’étend sur quelque 5 000 km et se compose en réalité de deux corridors. Le corridor Est reliera le port indien de Mundra sur la côte ouest à celui de Fujairah aux EAU, puis utilisera le chemin de fer en Arabie saoudite et la Jordanie pour transporter des marchandises jusqu’au port israélien de Haïfa sur la Méditerranée. Le corridor ouest partira de Haïfa, d’où les marchandises indiennes atteindront divers ports européens. Ce projet de connectivité complétera les itinéraires de transport maritime et routier existants, facilitant la circulation des marchandises et des services entre l’Inde et l’Europe.
Pour les Etats-Unis et l’Inde, l’IMEC, ou la Nouvelle route des épices, est destiné à rivaliser avec l’initiative chinoise « La Ceinture et la Route », alias la Nouvelle route de la soie, qui avait permis à Pékin depuis son lancement en 2013 de répandre son influence, ses investissements et son commerce à travers l’Europe, l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine. Washington, en rude concurrence économique et géopolitique avec Pékin, n’a pas caché son intention de positionner l’IMEC comme une alternative à l’initiative chinoise. Globalement, l’objectif américain est de modifier la configuration géopolitique et économique dans le Golfe, en insérant l’Inde dans le mix composé jusqu’ici des Etats-Unis, comme partenaire sécuritaire dominant, et de la Chine, en tant que principal partenaire économique. Washington est conscient que l’Inde ne s’alignera que partiellement sur ses intérêts au Moyen-Orient et en Asie plus généralement. Mais il estime peu probable que sa présence au Moyen-Orient sape les intérêts américains comme le fait la Chine. Plus important, Washington considère qu’une influence économique accrue de l’Inde dans la région affaiblira celle de la Chine à moyen et long termes.
Evoqué publiquement pour la première fois en mai dernier après que le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a rencontré son homologue indien, Ajit Doval, ainsi que des responsables saoudiens et émiriens à Riyad, l’IMEC s’inscrit également dans le cadre des efforts américains en vue d’une normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite. Il sert en outre d’autres objectifs américains, en tête desquels l’amélioration des relations profondément endommagées entre Riyad et Washington après l’accord nucléaire iranien de 2015 et le meurtre en 2018 du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Le corridor économique développera des infrastructures destinées à la production et le transport de l’hydrogène vert, un objectif cher à l’Administration Biden qui soutient la transition vers les énergies propres. Enfin, l’IMEC permettra à Washington de se présenter aux pays en développement comme un partenaire et un investisseur alternatifs, face à la poussée de « La Ceinture et la Route » de la Chine.
Pour l’Inde, 5e puissance économique mondiale, la Nouvelle route des épices vise à concurrencer la Nouvelle route de la soie. Modi a profité du sommet du G20, tenu à New Delhi en l’absence du président chinois, pour s’en prendre à Pékin, lui reprochant d’avoir utilisé « La Ceinture et la Route » pour étendre le filet de sa « diplomatie du piège de la dette » dans le but d’établir son hégémonie sur les pays à revenu moyen et inférieur, particulièrement riches en ressources ou stratégiquement importants.
Si l’IMEC est principalement conçu par les Etats-Unis et l’Inde pour contrer l’influence mondiale grandissante de la Chine, il en est autrement pour l’Arabie saoudite et les EAU. Ces deux piliers du corridor rejettent l’idée d’un ordre mondial bipolaire qui les obligerait à choisir entre la Chine et les Etats-Unis. Cette réalité est illustrée par leur récente adhésion au groupe des BRICS, dont la Chine est la principale puissance. Leur participation active à l’IMEC leur offre une plus grande autonomie pour poursuivre leurs propres intérêts et exprime la convergence géopolitique et économique plus large entre le Moyen-Orient et l’Asie du Sud. L’Inde est le deuxième partenaire commercial de l’Arabie saoudite, après la Chine, avec des échanges bilatéraux atteignant 52,75 milliards de dollars en 2022-2023, faisant de Riyad le 4e partenaire commercial de New Delhi. De plus, les échanges commerciaux entre l’Inde et les EAU ont bondi à 85 milliards de dollars à la même année, positionnant ces derniers comme le troisième partenaire commercial de l’Inde et sa deuxième destination d’exportation.
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